Professeur des relations internationales à l’Université Mohamed V de Rabat, Zakaria Abouddahab, décrypte pour Apanews l’évolution récente des relations entre le Maroc et la France illustrée par la visite, fin février, à Rabat du chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné. Une première depuis longtemps.
Professeur Zakaria Aboudahab
APA-Rabat (Maroc)
La visite du chef de la diplomatie française au Maroc lundi 26 février, première d’un haut responsable politique français à Rabat depuis plusieurs années, est destinée à réchauffer les relations entre les deux pays. Quelles sont les causes du froid qui régnait entre Paris et Rabat?
Depuis la fin du protectorat français sur le Maroc en 1956, les relations franco-marocaines ont traditionnellement été excellentes, en dépit de quelques petits couacs pour la plupart vite dépassés. Mais ces dernières années, une série de malentendus est venue refroidir nettement les relations entre les deux pays. Parmi eux, l’affaire dite « Pegasus » qui a éclaté en 2021. Il s’agit d’un logiciel israélien d’écoute et de surveillance de téléphones et de messageries électroniques. Les services marocains de renseignements ont été accusés en France d’avoir utilisé ce logiciel pour accéder aux données des téléphones mobiles de certaines personnalités politiques françaises dont le président Emmanuel Macron. Surprises, mais surtout offusquées par de telles accusations, les autorités marocaines avaient immédiatement engagé des poursuites judiciaires en France contre les auteurs de telles accusations.
Ensuite, il y a eu l’affaire de corruption présumée au parlement européen que la presse française a baptisée du nom de « Moroccogate » qui a éclaté en décembre 2022 avec l’arrestation à Bruxelles de l’eurodéputé Antonio Panzeri. Impliquant d’abord des personnalités marocaines, l’affaire est par la suite élargie au Qatar dans ce qui est devenue le Qatargate. L’actuel chef du gouvernement marocain dont le nom a été cité dans cette affaire, a été poussé à porter plainte pour diffamation, notamment contre l’eurodéputé français José Bové.
« Le Premier ministre marocain est extrêmement choqué des accusations sans fondement proférées par José Bové. Ces accusations anciennes et infondées ont déjà fait l’objet d’une condamnation définitive par la 17ᵉ Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris le 16 octobre 2018. C’est une mise en cause scandaleuse de son honneur et de son honnêteté », s’était alors offusqué Olivier Baratteli, l’avocat du chef du gouvernement marocain.
Auparavant, l’adoption en juin 2021 d’une résolution au parlement européen qui a été initiée et soutenue par des députés proches du président français et dans laquelle le Maroc est accusé de manquer à ses engagements, notamment envers la convention sur la protection des droits des enfants, avait déjà été très mal reçue à Rabat.
Le durcissement à partir de septembre 2021 par les autorités françaises des conditions d’octroi de visa aux citoyens marocains désirant se rendre en France n’a pas non plus été apprécié par le gouvernement marocain. De manière moins directe, la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, fin 2020, sans que Paris y soit associée ne semble pas avoir été très appréciée en France.
Il y a aussi la question du Sahara. Ce dossier, toujours considéré par les Marocains comme la « Grande Cause nationale », est, depuis le discours royal prononcé à l’occasion de la fête du Trône en août 2022, ouvertement posé par Rabat comme « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, et l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats que le Royaume établit ».
Même si Paris appuie depuis longtemps le plan d’autonomie sous souveraineté marocaine de ce territoire proposé par Rabat, les autorités marocaines ne cachent pas leur souhait de voir la France reconnaître définitivement la marocanité du Sahara, surtout après que celle-ci est désormais admise par la plupart des pays amis du Royaume, les Etats-Unis en tête.
Qu’est-ce qui explique cette réconciliation soudaine entre les deux pays?
Dans les faits, les deux pays ont toujours continué à discuter et échanger par diverses voies. Mais des signes récents ont progressivement montré qu’une décrispation était en cours entre les deux capitales. La position du représentant permanent de la France auprès de l’ONU qui a clairement rappelé dernièrement que son pays soutient le plan marocain d’autonomie au Sahara à été bien accueilli à Rabat. L’audience accordée par Sa Majesté le Roi à l’ambassadeur de France à Rabat lors de la présentation de ses lettres de créance a beaucoup fait plaisir à Paris. La nomination récente de Mme Samira Sitail en tant qu’ambassadrice du Maroc en France, alors que ce poste est vacant depuis janvier 2023, a été fort bien accueillie par les autorités françaises.
A Rabat, le chef de la diplomatie française a annoncé une nouvelle « feuille de route » pour approfondir les liens entre les deux pays. Quel serait le contenu de cette feuille?
Le contenu exact de cette feuille de route n’est pas encore clairement établi. Une réunion de la commission mixte franco-marocaine est prévue dans les prochaines semaines. Des visites dans les deux pays des responsables de hauts niveau également. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, devrait bientôt se déplacer en France. Le ministre français de l’économie, M. Bruno Le Maire, est attendu au Maroc avant la fin du mois d’avril prochain. Un déplacement officiel du président Macron lui-même au Maroc n’est pas exclu à court terme.
Si le tout est couronné par une évolution de la position française sur la question du Sahara dans le sens souhaité par Rabat, il y a très peu de chance de voir les relations entre deux pays revivre des secousses comme celles vécues récemment avant très longtemps.
HA/LOS/APA