Les commentateurs et analystes ressassent encore sur les réseaux sociaux la manifestation organisée lundi contre le président gambien Adama Barrow, la plus importante depuis le retour de la démocratie dans le pays, il y a trois ans.
Cette manifestation qui s’est déroulée dans une ambiance pacifique s’est terminée par la remise d’une pétition par les organisateurs, regroupés autour du mouvement ‘Three Years Jotna’ (Les trois ans sont révolus !).
Le document donne au président Barrow un mois pour se décider à renoncer au pouvoir, conformément à sa promesse de campagne de ne rester que trois ans à la magistrature suprême.
Immédiatement après la manifestation, le journaliste et commentateur social Baboucar Ceesay a déclaré à l’Agence de presse africaine qu’il y avait trois à quatre choses à retenir de cette action populaire.
Pour lui, la première remarque c’est que le mouvement avait réussi à attirer une foule plus importante que les prévisions, de l’ordre de 30.000 manifestants ou même plus.
Avant la marche, les détracteurs du mouvement avaient décrit leur activisme comme une cause malavisée et incompatible avec les voeux de l’opinion publique en Gambie.
« Cependant, pour autant que je me souvienne, une telle foule ne s’est jamais rassemblée pour manifester dans ce pays … J’étais là dès 8 heures et j’ai vu comment la foule augmentait au fur et à mesure que la manifestation s’apprêtait à démarrer « , a-t-il déclaré.
Sous le règne de l’ancien président Yahya Jammeh au pouvoir pendant plus de 20 ans, les Gambiens protestaient rarement car le moindre geste de protestation contre l’autorité centrale était très sévèrement réprimé.
Ceesay, fondateur et directeur du journal Monitor, a ajouté qu’un autre point à retenir de la manifestation est le fait rassurant que le pays a définitivement franchi une étape en ce qui concerne l’activisme pour les droits civiques.
Il a expliqué qu’en respectant leur promesse d’une marche pacifique, les dizaines de milliers de manifestants semblaient bien canalisés par les dirigeants du mouvement.
Barrow, qui s’était emmuré à la présidence à Banjul, a envoyé le porte-parole du gouvernement, Ebrima Sankareh, qui a d’abord été hué par les manifestants dont certains le voyaient « trop jeune » pour recevoir la missive au nom du chef de l’Etat.
Beaucoup de manifestants estiment qu’il s’agit de manque de respect de la part du président Barrow qui semble se considérer « trop digne » pour y répondre de par sa présence.
Cependant, les dirigeants du mouvement Three Years Jotna avaient réussi à appeler la foule à faire preuve de retenue et à s’abstenir de franchir les barrières menant au pont.
Bien que quelques-uns d’entre eux aient réussi à franchir les barrières mises en place par la police, la marée montante des manifestants est restée en grande partie « dans les limites autorisées» pendant les négociations.
C’est ainsi que finalement, Sankareh a pris le mémorandum à transmettre au président Barrow.
Un autre point à retenir selon M. Ceesay est le fait troublant de savoir que la protestation est loin d’être à son épilogue, étant donné que le mouvement dans sa lettre au président Barrow a déclaré avec fermeté qu’il allait lancer d’autres manifestations à Banjul, s’il ne revenait pas sur sa promesse électorale de démissionner en janvier 2020, soit exactement trois ans depuis sa prise de fonction..
Les manifestants ont également déclaré qu’ils ne demanderaient pas d’autorisation à la police pour les prochaines séries de manifestations.
Ils ont juré d’occuper les rues tant que Barrow restera au pouvoir.
Dans la perspective des élections de décembre 2016 qui l’ont vu évincer Jammeh, le président Barrow, à la tête d’une coalition de partis d’opposition, avait promis de diriger un gouvernement de transition de trois ans, après quoi il démissionnerait et organiserait de nouvelles élections auxquelles il ne participerait pas.
Cependant, trois ans plus tard, alors que les Gambiens le considèrent généralement comme voulant renier cette promesse électorale, beaucoup pensent qu’il est encore excusable, étant donné que la constitution du pays stipule qu’un président élu peut faire un mandat de cinq ans s’il le souhaite.
Cependant, pour Jeggan Gray-Johnson, un autre citoyen gambien déplore la situation actuelle et semble dire que les choses sérieuses ont commencé.
« La décision que va prendre Barrow permettra de savoir si nous allons survivre ou couler en tant que pays ; mais ses choix sont extrêmement limités et les moments qu’il vit ne lui appartiennent pas », a-t-il confié à APA.
WN/as/fss/Dng/APA