Des intellectuels et témoins oculaires du génocide commis contre la communauté Tutsi, en 1994 au Rwanda, ont débattu jeudi à Kigali sur l’importance de la « préservation de la mémoire » de cet « événement le plus grave » ayant clôturé la fin du siècle dernier, un fait qui doit par ailleurs permettre de marquer ses défis et perspectives en vue de faire de cette préservation « un combat de l’humanité », selon les organisateurs.
« En organisant ce colloque, nous avons estimé qu’avant d’entrer dans le moment commémoratif proprement dit du génocide du 7 avril, il convenait de prendre un temps de réflexion pour revisiter les tenants et les aboutissants de ce génocide commis contre les Tutsis, et faire le bilan des 25 dernières années, voire les perspectives en cours et les défis qu’il faut continuer à relever », a ouvert Jean Damascene Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG).
Il s’exprimait à l’ouverture du colloque de deux jours, sous le thème : « Préservation de la mémoire, un combat de l’humanité », dans le cadre de la vingt-cinquième commémoration (« Kwibuka25 », se souvenir) du génocide commis contre la minorité Tutsi en 1994.
La rencontre a accueilli des centaines de participants, dont des professeurs d’universités et des acteurs de divers domaines, y compris des témoins oculaires du génocide.
Les organisateurs de cette conférence internationale, tenue en prélude à la journée phare du 7 avril, ont « voulu » qu’elle « soit consacrée aux perspectives et défis d’une société post génocide », sans omettre d’« analyser les contours sur les conditions de préparation du génocide, l’implication de différents acteurs tels les pouvoirs publics, les médias, les partis politiques et autres institutions ».
Un « génocide planifié par des intellectuels »
Il convient aussi de souligner, au cours de ce colloque, « le rôle de ces différents acteurs dans le rétablissement et le maintien perpétuel de l’équilibre social et du progrès national, régional et international », a continué Jean Damascene Bizimana, notant par ailleurs que le génocide commis contre les Tutsis « est conçu et planifié par des intellectuels » de divers domaines (politique, médias, santé, …)
Et c’est un fait, d’après lui, « qui doit nous intéresser dans ce colloque en tant qu’intellectuels ».
Mais quel que puisse être le rôle des intellectuels pendant le génocide, « il faut créer un environnement propice au dialogue pour que cette génération puisse parler de ce traumatisme », a dit pour sa part la Sud-africaine Boatamo Mosupyoe, enseignante à l’Université de Californie, aux Etats-Unis d’Amérique.
« Il est très capital que les enfants et les petits-enfants des auteurs et des victimes soient éduqués adéquatement pour éviter qu’ils soient des négationnistes du génocide. Ces enfants ne devraient pas se sentir coupables », a déclaré Mme Mosupyoe, se félicitant par ailleurs « aujourd’hui du fait que les jeunes réfléchissent d’une façon critique » contrairement à leurs pairs du génocide, qui avaient été « endoctrinés ».
Dans ce sens, Edouard Bamporiki, un jeune Hutu écolier au moment du génocide, « n’avait pas de réponse » par rapport aux « interrogations » qu’il faisait à sa mère sur la raison de la tuerie des Tutsis par des gens de sa communauté. Sa mère, rapporte ce témoin du génocide, se contentait de lui dire à l’époque qu’ils étaient supérieurs aux Tutsis même si cette réponse « n’avait aucun sens » pour lui, vu que : « J’ai vu le cadavre de mon enseignant ».
La « guérison » du Rwanda
Devenu bonhomme maintenant, Edouard note que c’est un « bon leadership », incarné par le Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir), « qui a contribué à la guérison » du Rwanda, avec dorénavant l’inculcation et la suprématie du « nous sommes tous des Rwandais » dans les esprits, transcendant ainsi les clivages ethniques.
Pour sa part, la Française Catherine Coquio de l’Université Denis Diderot de Paris, a souligné l’importance « d’écouter ce que disent les rescapés » du génocide, dans le but surtout de soulager leurs douleurs.
Par ailleurs, Mme Coquio a trouvé « une reconstruction de l’humanité » après ce génocide. Et celle-ci a permis de « reconstruire ce pays » porté aujourd’hui en « modèle » et qui rend, par ailleurs, la Sud-africaine Boatamo Mosupyoe « fière d’être Africaine ».
Cette reconstruction du Rwanda inspire également le réalisateur de films polonais juif, Aleksander Edelman, qui se décrit comme « l’exemple vivant de l’extermination des juifs » en Pologne.
S’adressant aux Rwandais, M. Edelman a déclaré : « Toute ma vie, c’est d’une façon ou d’une autre liée à la mémoire. Cette fois, c’est votre mémoire. Donc il faut être gai, chercher l’amour et l’amitié, et ne laisser jamais se faire abattre ».
Pour lui en effet, « Il faut être vigilant. (…) Et pour cela, il faut connaitre les limites de cette réunion publique » qui se poursuivra demain à Intare Conference Arena, le siège du FPR.
ODL/cd/APA