La construction du Grand barrage éthiopien de la Renaissance (Gerd) suscite depuis neuf ans des tensions nationalistes qui impliquent l’Ethiopie et l’Egypte principalement ainsi que le Soudan.
Le Gerd, dont les travaux en cours ont été lancés depuis 2011, constitue pour Addis-Abeba un idéal de développement à travers le futur plus grand ouvrage hydraulique d’Afrique en matière de production d’énergie.
Cependant, la crise régionale née des « divergences nationalistes » entre l’Ethiopie et l’Egypte compromet la signature d’un accord pour la construction du barrage. Alors que l’Ethiopie défend et revendique la légitimité du barrage, l’Egypte craint pour sa survie et évoque les traités coloniaux de 1929 et 1959 qui lui consacreraient « des droits historiques sur le Nil ».
Compromis, Renaissance ensuite
Jusque-là les nombreux rounds de pourparlers n’ont pas encore permis de trouver un compromis durable, même sous l’égide des Etats-Unis d’Amérique et de la Banque Mondiale. En octobre 2019, quand les tensions étaient plus vives, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait exprimé l’attachement de son pays à la construction du Gerd. « S’il y a besoin d’aller à la guerre, nous pouvons mobiliser des millions d’hommes », menaçait-il.
L’Ethiopie abrite la rivière Abbay, principal affluent du plus grand fleuve du monde. Le Nil bleu, qui prend sa source en Ethiopie, assure plus de 80% des eaux du Nil. Malgré ce potentiel hydrique, le pays a longtemps souffert des épisodes de famine et de sécheresse. L’explosion démographique suit une courbe ascendante avec une population qui est passée de 22 millions en 1960 à plus de 110 millions en 2018, selon la Banque Mondiale.
Face aux exigences d’une croissance soutenue à la hauteur de la demande en services basiques (eau, électricité, soins de santé), l’Ethiopie mise beaucoup sur le barrage de la Renaissance.
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L’approvisionnement régulière en continu d’électricité aux populations, à l’administration, aux usines, au monde rural, participerait à asseoir un climat social propice au développement du pays. Financé à hauteur de 3,5 milliards d’euros, le Gerd devrait commencer à fournir de l’électricité avant la fin de l’année 2020. A terme, en 2023, la production est estimée à plus de 6000 mégawatts.
Son financement propre a été accompagné par un fort élan de solidarité nationale à travers des ponctions de salaire des fonctionnaires, l’achat par la diaspora d’obligations d’Etat, l’organisation de loteries, de tournois sportifs, d’expositions, etc. Au-delà d’assurer son propre décollage économique, l’Éthiopie qui affiche la meilleure croissance moyenne du PIB en Afrique au cours de la dernière décennie, aspire à une hégémonie même au-delà de la Corne de l’Afrique.
Une question de survie
« L’Égypte est le don du Nil aux Égyptiens, et le don des Égyptiens à l’humanité ». Ainsi commence le préambule de la Constitution égyptienne de 2014. L’article 44 de la Loi fondamentale consacre que « L’État s’engage à protéger le Nil, préserver les droits historiques de l’Égypte qui y sont liés, rationaliser et optimiser les usages du fleuve et combattre le gaspillage et la pollution des eaux ».
Le Caire, qui dépend à plus 90% du Nil Bleu pour ses ressources hydriques, estime qu’à terme le Gerd devrait inéluctablement entrainer un débit faible du fleuve. « Le barrage est construit sur le grand affluent du Nil qui est le Nil bleu charriant 95% des eaux du fleuve. Donc les Egyptiens considèrent que toute retenue à ce niveau va influencer négativement sur le volume d’eau qui atteint l’Egypte », reconnait Kabiné Koroma, ancien Haut-commissaire de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS).
Quand le président Abdel Fattah al-Sissi exprimait dans un tweet la détermination de l’Égypte « à défendre son droit à l’eau », la bataille de l’eau semblait inévitable. Une réaction consécutive au rejet par Addis-Abeba de toutes les propositions qui prennent en compte les intérêts de l’Égypte en matière d’eau. « Si vous construisez un barrage, vous barrez l’eau et il faut remplir le réservoir pendant des années d’abord. Pendant ce temps, cela prive ceux qui sont en aval d’un volume substantiel d’eau », a confié à APA M. Koroma.
Pour l’ancien Premier ministre guinéen, s’il n’y a pas concertation, les divergences peuvent subsister entre l’Ethiopie et l’Egypte, compte tenu de la « géostratégie économique » qu’engendre le barrage pour les pays du bassin du Nil. « C’est assez évident que les pays en aval du barrage dépendent de l’eau pour l’agriculture, leur eau potable, leur navigation, etc. », souligne Gérard Govers, professeur de géographie physique à l’Université catholique de Louvain (Belgique).
Remplira, remplira lentement
L’un des principaux points d’achoppement des pourparlers concerne le rythme de remplissage du réservoir. Addis-Abeba le prévoit à partir de juin 2020 pendant trois ans pour atteindre un volume de 74 milliards de m3 d’eau. Le Caire craint que ce remplissage n’affecte le débit du Nil, si l’opération n’est pas étalée sur une période de 21 ans. En outre, l’Égypte réclame des garanties pour sa fourniture en eau à raison d’un minimum annuel de 40 milliards de m3 contre 55 milliards pour l’Éthiopie.
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« Partout dans le monde où il y a des barrages très proches d’une frontière ou impliquant différents pays, il y a une forte probabilité de changements assez importants dans le régime du fleuve et peut-être de la quantité d’eau à utiliser », indique l’universitaire Govers dans une interview avec APA.
Lors des négociations du 13 au 15 janvier dernier à Washington, sous la médiation des États-Unis et de la Banque Mondiale, les trois principaux pays du bassin du Nil semblaient aller vers un compromis sur un rythme de remplissage initial « à hauteur de 595 mètres au-dessus du niveau de la mer ». Mais l’absence de l’Ethiopie à la dernière rencontre tripartite (avec l’Egypte et le Soudan) tenue fin février dernier à Washington, n’a pas permis de finaliser l’accord sur la Déclaration de principes (DoP) signée en 2015.
Dng/cgd/APA