Le Maroc célèbre le Nouvel An amazigh, une fête que certains disent être une invention française dénuée de toute valeur historique, tandis que d’autres affirment que son origine se situe dans la victoire des Amazighs sur les Egyptiens en 950 avant J.C.
Tisselday, 13 janvier – Des feux de joie illuminent les pentes rocheuses du Haut Atlas, marquant le début de Yennayer 2975, le nouvel an amazigh. À la tombée de la nuit, les flammes dansent dans l’obscurité, accueillant une célébration qui dépasse les frontières du temps et de l’histoire écrite. Le peuple amazigh d’Afrique du Nord célèbre non seulement un nouveau cycle agricole, mais aussi la résilience de ses traditions ancestrales face aux siècles de marginalisation.
Le Yennayer, dont le nom dérive de « yan » (un) et « ayyur » (mois) en tamazight, marque le premier mois de l’année dans le calendrier amazigh, un système calendaire remontant à plus de 3 000 ans. Il est lié à l’accession de Sheshonq Ier au trône d’Égypte, un événement gravé dans l’histoire et dans les textes sacrés. Ce calendrier, aujourd’hui en usage au Maroc, reste un lien profond entre les communautés autochtones et leur héritage millénaire.
Loin d’être une simple fête agricole, le Yennayer représente un moment de renouveau symbolique, rythmé par les cycles naturels et les rituels communautaires. Partout au Maroc, les appels traditionnels résonnent : « Aseggas Ambarki », « Aseggas Amaynou », « Aseggas Ighoudan », des vœux qui souhaitent prospérité et bonheur pour la nouvelle année.
De la marginalisation à la reconnaissance
Historiquement, l’identité amazighe a été réprimée au Maroc, avec des politiques d’arabisation imposant l’arabe comme seule langue de communication et excluant le tamazight de l’espace public. Les générations successives d’enfants amazighs ont été punies pour avoir parlé leur langue maternelle à l’école, et les traditions ont été reléguées au rang de vestiges folkloriques.
Cette situation a changé progressivement, surtout après la reconnaissance officielle de la langue amazighe en 2011, suivie de l’adoption de mesures législatives pour promouvoir sa culture et son patrimoine. L’an passé, en mai 2023, le roi Mohammed VI a signé un décret qui a institué Yennayer comme une fête nationale, marquant une avancée majeure pour les droits des Amazighs et la reconnaissance de leur culture au Maroc.
À la veille de Yennayer, les familles se rassemblent pour des repas symboliques. Dans les villages du Haut Atlas, l’odeur de l’ourkemen, un mélange de sept variétés de céréales et de légumineuses, emplit l’air. Ce plat traditionnel, mijoté lentement, est censé assurer prospérité et abondance tout au long de l’année.
Dans la vallée de Ouirgane, les familles préparent un couscous garnissant les tables, tandis qu’au Souss, la tagoula occupe une place centrale. Ce plat, réalisé avec de la semoule de maïs ou d’orge, est soigneusement cuit au feu de bois, et chaque geste culinaire est chargé de symbolisme. Une tradition veut que l’on cache un noyau de datte dans le plat, porteur de chance pour celui qui le trouve.
Les repas ne sont qu’un aspect de la fête : un nettoyage symbolique des maisons, des rituels de purification à base de fumées d’herbes, et le partage de la nourriture avec la nature marquent ce moment sacré. Le Yennayer est ainsi une fête collective de partage, de purification et de renouvellement.
Malgré ces avancées, des défis demeurent. Les communautés amazighes continuent de lutter contre les inégalités socio-économiques. Après l’indépendance, le Maroc a poursuivi une politique d’arabisation qui a marginalisé les berbères. Les systèmes de gestion de la terre ont été démantelés, et l’accès aux services publics reste limité dans de nombreuses régions amazighes.
Le séisme dévastateur de septembre 2023 a mis en lumière les fragilités des villages amazighs, où les infrastructures étaient insuffisantes, et où l’aide humanitaire a été lente à arriver. Ce drame a souligné le fossé entre la reconnaissance symbolique et l’égalité réelle, malgré les avancées législatives.
Les enjeux de la langue et de l’éducation
La langue amazighe, bien que désormais officiellement reconnue, demeure un terrain de lutte. Si le taux d’enseignement du tamazight a progressé, il reste insuffisant pour garantir une réelle inclusion. Dans de nombreuses régions rurales, les enfants sont toujours privés d’un enseignement en langue maternelle, et l’utilisation du tamazight dans les administrations reste sporadique.
L’officialisation de la langue et de la culture amazighes n’est encore qu’en phase d’implémentation, et des militants comme Ahmed Assid soulignent la lente disparition de la langue, bien qu’elle soit considérée comme le cœur vivant de l’identité amazighe.
Cette année, le Yennayer 2975 symbolise à la fois une victoire culturelle et un appel à la justice. Il est un moment de célébration mais aussi un rappel des luttes qui restent à mener. Alors que les feux de joie continuent de briller sur les montagnes du Haut Atlas, la fête de Yennayer rappelle que, même dans la modernité, les racines culturelles des Amazighs demeurent vivantes et fortes, et qu’il reste encore du chemin à parcourir pour que cette reconnaissance devienne une égalité réelle.
Dans chaque célébration, chaque repas partagé, chaque histoire racontée autour du feu, les communautés amazighes réaffirment leur identité et leur résilience. Le chemin vers l’égalité est encore semé d’embûches, mais avec chaque année qui passe, le Yennayer devient un symbole de progrès, de dignité et de renouveau pour le peuple amazigh du Maroc.
MK/te/Sf/APA