L’efficacité supposée de l’hydroxychloroquine sur le nouveau coronavirus déchaîne les passions dans la communauté scientifique, mais suscite un réel espoir dans le monde entier, y compris en Afrique.
A Dakar, la capitale sénégalaise où est présent le Covid-19, plusieurs personnes sont en file indienne devant une pharmacie. Parmi elles, une femme d’âge mûr avoue à demi-mot être à la recherche d’un produit hypermédiatisé ces temps-ci : la chloroquine.
Ce médicament, utilisé depuis 70 ans pour traiter le paludisme, est actuellement sous le feu des projecteurs. Et pour cause : l’un de ses dérivés, l’hydroxychloroquine, serait le remède miracle pour neutraliser le micro organisme qui fait vaciller la planète entière.
Dans les quatre coins du globe, apeurées par l’envolée des contaminations (près de 600.000) et surtout du nombre de morts (plus de 26.000), les populations attendent impatiemment la délivrance. Justement, le Professeur Didier Raoult, un médecin français anticonformiste au look détonnant, prétend pouvoir soigner leur maux avec une recette toute simple : l’hydroxychloroquine.
Avant d’en arriver là, le patron de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille (France) a effectué un test sur un échantillon de 24 individus porteurs du virus. « Chez les trois quarts des malades inclus dans son essai clinique initial, la charge virale a disparu au bout de six jours de traitement. Les patients étaient guéris », soutient le Docteur Cheikh Sokhna, paludologue à l’Institut de Recherches et de Développement (IRD) d’Aix-Marseille Université (France).
Aussitôt, Didier Raoult est présenté comme « le sauveur de l’Humanité », mais nombre de spécialistes sont très prudents voire sceptiques. Ils reprochent à l’infectiologue des « méthodes peu rigoureuses » puisque de nombreuses personnes, souffrant du coronavirus, guérissent sans soins. Pour eux, un essai clinique sur un nombre aussi faible de patients n’est pas totalement fiable.
Devant l’extrême urgence, des voix se sont élevées pour qu’on applique dare-dare la solution de M. Raoult. Au préalable, tempèrent d’autres, il faut nécessairement des essais cliniques à grande échelle. Ainsi, la campagne Discovery (découverte, en anglais) a été lancée avec 3200 malades européens qui reçoivent ce traitement. Mais les résultats ne sont attendus que dans six semaines. Une éternité en temps de crise sanitaire.
En France, où la durée du confinement a été prolongée de 15 jours, le gouvernement a pris position. En première ligne, Olivier Véran, le ministre des Solidarités et de la Santé s’est justifié sur son compte Twitter : « Le consensus scientifique est clair. Ne donnez pas un médicament sans preuve, mais menez des études cliniques pour chercher ces preuves. C’est ce que nous faisons. Et vite. Je ne ferai pas de pari sur la santé des Français ».
En attendant l’aval du monde scientifique, le Pr Raoult prescrit librement l’hydroxychloroquine dans la cité phocéenne. Car, dit-il, « nous estimons avoir trouvé un traitement. Sur le plan de l’éthique médicale, j’estime ne pas avoir le droit, en tant que médecin, de ne pas utiliser le seul traitement qui ait, jusqu’ici, fait ses preuves. Je suis convaincu qu’à la fin, tout le monde utilisera ce traitement. C’est juste une question de temps ».
Dans l’Hexagone, les médecins ont la possibilité d’administrer l’hydroxychloroquine à leurs patients, mais l’usage est strictement encadré par un décret. Il faut absolument que ça soit en milieu hospitalier et sur des malades présentant des formes sévères du coronavirus.
Poursuivant dans le réseau social prisé des politiques, M. Véran a tout de même tenté de rassurer ses concitoyens. « Nous ne prenons pas de risque, mais nous ne perdrons pas de temps. La rigueur scientifique n’est pas un excès de prudence, elle est une exigence. La recherche avance », a-t-il tweeté.
Comme l’a annoncé fièrement Didier Raoult, « plusieurs Etats ont d’ores et déjà intégré l’hydroxychloroquine ou la chloroquine dans leurs recommandations thérapeutiques pour le traitement du Covid-19 dès la détection des symptômes du virus ».
C’est le cas notamment du Sénégal. A la tête du service des maladies infectieuses du Centre Hospitalier Universitaire de Fann à Dakar, le Professeur Moussa Seydi, dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, a informé de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans son protocole de traitement.
« Les résultats du Professeur Didier Raoult sont encourageants, mais non définitifs. Au regard des rapports bénéfice-risque, nous avons jugé utile de démarrer ce traitement chez nos patients. Les résultats que nous commençons à obtenir sont absolument encourageants », a expliqué M. Seydi.
Et ce spécialiste des maladies infectieuses d’ajouter : « Nous allons généraliser l’utilisation de cette molécule au niveau de tous les sites de prise en charge au Sénégal. Si l’absence d’effets secondaires se confirme après le traitement de cent malades, nous ajouterons de l’azythromycine (un antibiotique contre la pneumonie bactérienne) ».
Testé négatif au nouveau coronavirus, le président américain Donald Trump, très prolixe sur Twitter, n’a pas manqué d’alimenter le débat. « Je pense que cela pourrait changer la donne. Ou peut-être pas. Mais d’après ce que j’ai vu, cela pourrait changer la donne. Nous allons pouvoir rendre ce médicament (l’hydroxychloroquine) disponible quasiment immédiatement », a promis le locataire de la Maison blanche.
En tout cas, les Etats-Unis sont, depuis hier vendredi, le pays le plus infesté avec près de 100.000 malades du coronavirus. Au total, plus de 1500 morts y sont dénombrés. Pour stopper l’hémorragie, des dizaines de recherches en laboratoire sont en cours dans le monde. Une course contre la montre est engagée pour trouver un médicament actif sur le virus. Avec l’hydroxychloroquine, peu coûteuse de surcroît, le monde tient-il son précieux antidote ? Rien n’est moins sûr mais beaucoup s’accrochent à ce fol espoir.
ID/te/APA