Plus de seize mois après le début du conflit au Soudan, la guerre dans ce pays d’Afrique du Nord-Est continue d’échapper à tout contrôle, a alerté mardi la Cheffe adjointe des droits de l’homme de l’Onu, redoutant qu’elle ne prenne une dimension ethnique dans certaines provinces soudanaises, notamment au Darfour. Où la communauté Masalit semble visée.
Au Soudan, les civils font les frais des hostilités entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR), ainsi que les mouvements armés et milices alliés respectifs, qui se déroulent au « mépris total du droit international ».
« Depuis la mise à jour du Haut-Commissaire devant ce Conseil en mars, le conflit s’est encore aggravé. Les déclarations des parties belligérantes sur leur engagement à protéger les civils restent vides, et les violations se poursuivent sans relâche », a affirmé Nada Al-Nashif.
Devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Haut-Commissaire adjointe de l’ONU aux droits de l’homme s’est dite « profondément troublée par les attaques et les discours de haine motivés par l’appartenance ethnique ».
De graves abus contre la communauté Masalit
Les services du Haut-Commissaire Volker Türk indiquent avoir recueilli de « nombreux témoignages » faisant état « d’exécutions sommaires, de violences sexuelles et de déplacements forcés perpétrés par les forces de sécurité soudanaises et les milices arabes alliées, notamment à l’encontre de la communauté Masalit dans l’ouest du Darfour ».
« Des violences, des harcèlements et des arrestations à caractère ethnique ont également été documentés au Darfour et à Al-Jazirah », a déploré la Haut-Commissaire adjointe. Citée par un communiqué reçu ce mardi à APA, elle a relevé que la mobilisation des civils, y compris des enfants, s’est intensifiée dans tout le Soudan, en particulier selon « des lignes tribales ». « Cela pose le risque d’une guerre civile élargie avec de nouvelles dimensions ethniques », a-t-elle mise en garde.
Depuis le mois de mai, la ville d’El Fasher, au Darfour Nord, a été ravagée par de violents combats : le ciblage des installations médicales a privé la population de services de santé.
Sur un autre plan, les détentions arbitraires par les deux parties et les mouvements armés alliés se poursuivent. Le HCDH a constaté une augmentation des arrestations par les services de renseignement militaire et des condamnations à mort pour soutien présumé au FSR, souvent sur la base d’une identité tribale réelle ou présumée. « Nous avons également documenté des détentions illégales, là encore souvent fondées sur l’appartenance ethnique, par le FSR au Darfour », a poursuivi Nada Al-Nashif.
Des attaques fondées sur l’appartenance ethnique
De son côté, le Président de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan a indiqué que les paramilitaire des FSR et leurs milices alliées ont commis des attaques à grande échelle fondées sur l’appartenance ethnique.
De graves abus ont été en particulier commis contre la communauté Masalit à El Geneina, notamment des meurtres, des actes de torture, des viols et des persécutions.
« Notre rapport indique que les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR), ainsi que leurs milices alliées respectives, ont commis des violations à grande échelle des droits de l’homme et du droit international humanitaire, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité », a dit Mohamed Chande Othman.
Risques et indicateurs du crime de génocide
En écho à ces rapports préoccupants, la Conseillère spéciale de l’Onu pour la prévention du génocide note que tous les voyants sont au rouge. « Aujourd’hui, je dois le répéter : nous voyons tous les risques et indicateurs du crime de génocide, avec des allégations sérieuses que ce crime a déjà été commis, au Soudan », a averti Alice Wairimu Nderitu.
Elle a rappelé que les discours de haine et les attaques à caractère ethnique qui se sont déroulés sous nos yeux au Darfour, en particulier au Darfour occidental en 2023, ont mis en évidence des éléments très pertinents pour déterminer si le crime de génocide a été commis.
Des attaques délibérées et systématiques ont été menées contre le groupe ethnique Masalit, en particulier par les forces de sécurité soudanaises et les milices alliées. Des villages entiers ont été brûlés.
Dans ce contexte, des propos dérogatoires, tels que « noirs » et « esclaves », ont été largement utilisés comme éléments d’incitation à la violence, amplifiés par le biais des plateformes de médias sociaux.
Or il y a vingt ans, au Darfour, les mêmes communautés ont été prises pour cible. Elles étaient ciblées pour ce qu’elles étaient – ethniquement et racialement. « L’obligation de rendre compte des crimes commis dans le passé au Darfour n’a toujours pas été respectée, et l’absence d’obligation de rendre compte a créé un terrain fertile pour la violence actuelle », a regretté Wairimu Nderitu.
« Mon Bureau a reçu des rapports faisant état de campagnes de discours haineux et d’incitation à la violence, avec des opérations d’information à grande échelle glorifiant la commission d’actes de violence, y compris contre des groupes protégés spécifiques », a dit Mme Nderitu, ajoutant que « des dirigeants ont appelé les civils à prendre les armes ».
La violence sexuelle, arme de guerre
Sur un autre plan, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) est particulièrement alarmé par l’utilisation, depuis le début du conflit, de la violence sexuelle comme arme de guerre. Le HCDH a documenté 97 incidents impliquant 172 victimes, principalement des femmes et des filles – ce qui est une sous-représentation flagrante de la réalité.
La responsabilité de 81 % des incidents a été attribuée à des hommes portant l’uniforme des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et à des hommes armés affiliés. L’ONU a également reçu des rapports crédibles de violences sexuelles attribuées aux troupes des Forces armées soudanaises et aux mouvements armés alliés.
« Nous exhortons à nouveau les parties à émettre et à appliquer des ordres de commandement stricts pour interdire et punir les violences sexuelles, et à prendre d’autres mesures efficaces pour les prévenir », a affirmé Nashif.
TE/Sf/APA