« Allons-nous vers des attaques plus sophistiquées avec des cibles plus diversifiées pour faire le maximum de victimes ? », s’interroge un analyste.
Une semaine après l’attaque jihadiste menée vendredi 22 juillet dans la banlieue de Bamako contre le camp militaire Soundjata Keïta à Kati, plus grande garnison du Mali et résidence du colonel Assimi Goïta, le chef des militaires qui tiennent le pouvoir à Bamako, on ne sait toujours pas grand-chose de ce qui s’est réellement passé. Pourtant, l’audacieuse opération pourrait annoncer un nouveau virage dans le conflit malien, avertissent des spécialistes.
Quelques heures après l’attaque, l’Etat-major général des armées du Mali (EMAG) a indexé la Katiba Macina, la filiale active au centre du pays de la branche locale d’Al Qaida, le Groupe pour la Défense de l’Islam et des Musulmans, plus connu par son acronyme en arabe Jnim.
« Les forces armées viennent de contenir encore des tentatives désespérées des terroristes de la Katiba Macina qui, tôt ce matin aux environs de 5 heures du matin, ont tenté des actions kamikazes avec deux véhicules piégées bourrées d’explosifs contre une installation de la Direction du Matériel des hydrocarbures et des transports des armées (DMHTA) », lit-on dans le communiqué publié alors par l’EMAG.
L’armée malienne n’avait pas tort. Samedi 23 juillet, « Az-Zallaqa », organe médiatique du Jnim a revendiqué le raid qualifié dans la foulée de réponse aux opérations des Forces armées maliennes (Fama) et de son présumé allié, la compagnie militaire russe Wagner contre les « opprimés et les faibles ». « Si vous pouvez acheter des mercenaires pour tuer des innocents sans défense, c’est aussi notre droit de vous détruire et de vous cibler », insiste le communiqué rédigé en arabe.
Depuis leur prise du pouvoir fin mai 2021, après l’éviction du président et du premier ministre de transition qu’ils avaient eux-mêmes installés neuf mois plus tôt, les militaires qui dirigent le Mali ont décidé de reprendre l’initiative contre les groupes jihadistes. Leur nouvelle stratégie contre l’insurrection jihadiste partie du nord du pays en 2012 pour ensuite gagner le centre avec la naissance la Katiba Macina en 2015, sous l’impulsion du prêcheur peul Amadou Kouffa, a connu des succès, selon les médias pro-gouvernementaux. Mais aussi quelques fois des accusations d’exactions contre les civils, comme ce fut le cas à Moura où fin mars l’armée avait affirmé avoir neutralisé 203 jihadistes dans une opération sur plusieurs jours, combinant actions terrestre et aérienne.
Arbitrage au sein du GSIM
Selon Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des groupes jihadistes, « depuis le massacre de Dogofry, de Nampala et de Moura qu’au sein du Jnim, et la Katiba Macina en particulier, qu’il y a eu des préparatifs et des arbitrages pour savoir quel message passer pour venger les leurs ». Pour lui, « l’arbitrage était autour de la nature des cibles à viser, soit une cible molle à Bamako, notamment un lieu de rassemblement ou un bâtiment gouvernemental mal protégé, voire une ambassade occidentale, ou encore se concentrer sur des cibles militaires ce qui est théoriquement plus difficile ».
D’après l’expert, ces « arbitrages » et « allers et venues » qui y sont liés sont d’ailleurs à l’origine de plusieurs alertes émises par des chancelleries occidentales, comme celle des États-Unis d’Amérique, ces derniers mois à Bamako. Entre le 29 avril et le 16 juin, les diplomates américains en poste au Mali ont émis trois alertes sur la planification d’attentats contre des cibles gouvernementales, l’aéroport de Bamako ou des représentations occidentales dans la capitale malienne.
Finalement, le groupe jihadiste a préféré s’en prendre au camp militaire le plus important du Mali. « La cible qui a été attaquée est assez particulière. C’est le cœur du pouvoir malien. Il s’agit non seulement du pouvoir militaire, mais aussi du pouvoir politique parce qu’aujourd’hui, Kati représente un double symbole. Le symbole de la puissance militaire du Mali, parce que c’est une ville garnison. C’est là où vous avez l’essentiel des chefs militaires.
C’est aussi là où la plupart des chefs militaires du Mali ont été formés. Le chef de l’Etat et le ministre de la Défense y résident ainsi qu’un certain nombre d’officiers supérieurs. C’est donc le cœur du pouvoir politique au Mali », analyse Ibrahima Maïga, chercheur sur les questions de paix et de sécurité dans la région du Sahel.
Dans sa revendication, le Jnim fait état d’une attaque menée par deux kamikazes dont un burkinabé et des « inghimassi », des « immersionnistes », volontaires à la mort, contre la « caserne la plus puissante de la capitale, près de la maison du président et de la résidence du ministre de la Défense ». Selon le communiqué du groupe jihadiste, « les moudjahidines ont brûlé plusieurs voitures, puis se sont retirés en toute sécurité ».
Un message à l’intention de la junte
« En agissant de la sorte, le Jnim lance un message au pouvoir malien. Les jihadistes veulent prouver qu’ils sont en mesure de frapper au cœur du dispositif de gouvernance et sécuritaire de Bamako. Ce qui est un message fort, même si on peut considérer qu’en termes d’impacts militaires, ce n’est pas une réussite », décrypte Wassim Nasr.
« Le choix de mettre des ressources rares, deux kamikazes et leurs véhicules piégées, sachant qu’ils auraient pu faire beaucoup plus de dégâts en s’attaquant à une cible civile est un message politique qui s’adresse aussi à la population malienne », explique le journaliste. Il note chez les jihadistes « une certaine capacité de renseignement », mais aussi de « vraies brèches » dans le dispositif sécuritaire malien.
« Ils sont aussi en train de dire : Wagner est là depuis quelques mois, mais, ça ne nous empêche pas d’agir dans nos zones d’activités où on a beaucoup de liberté parce que l’armée française s’est retirée du pays. Donc, la couverture aérienne n’est plus là. La capacité de renseignement technologique français n’est plus là aussi. Ce qui laisse aux jihadistes une grande liberté d’action et de mouvement qui leur permet d’agir désormais plus au sud de leur bases historiques jusqu’aux portes de la capitale », ajoute le spécialiste.
Juan Diego Carrillo, analyste du jihad au Sahel voit, lui aussi, dans l’attaque de Kati, « un affaissement progressif de la barrière de sécurité autour de la capitale » du fait de l’audace montrée par les insurgés islamistes qui avaient déjà montré la veille une capacité de coordination impressionnante en agissant simultanément à Douentza, Koro, Sevaré, de Bapho, Ségou et Kolokani, des localités du centre du Mali où trois soldats auraient trouvé la mort, selon l’armée malienne.
L’analyste craint que l’opération de Kati ne soit que le début d’une série d’opérations prochaines plus complexes et sanglantes. « Allons-nous vers des attaques plus sophistiquées avec des cibles plus diversifiées pour faire le maximum de victimes ? », s’interroge-t-il ? Wassim Nasr estime que « ça pourrait être sujet à de nouveaux arbitrages, entre ceux qui privilégient les attaques ciblées et ceux qui veulent assouvir des vengeances ».
Quelques jours après l’attaque de Kati, un enregistrement sonore largement partagé sur les réseaux sociaux et dont l’auteur se revendique de la Katiba du Macina, met en garde la population civile contre tout appui aux forces armées maliennes, sinon, averti l’orateur, les jihadistes pourraient être amenés à frapper des cibles civiles.
AC/Los/APA