Survivants de la guerre civile au Liberia (1989-2003), beaucoup d’anciens enfants-soldats ont été laissés à eux-mêmes et on les voit aujourd’hui un peu partout dans rues de Monrovia. La journée, ils se livrent à de petits boulots et le soir, ils dorment à la belle étoile, à défaut de passer la nuit dans un bâtiment abandonné.
Bien qu’ils ne manipulent plus les armes comme naguère, ces enfants appelés « zogos » sont restés violents et sournois, des défauts qui expliquent pourquoi ils s’adonnent à leur nouvelle vie en faisant peu cas de la légalité. N’ayant pas fréquenté l’école ni appris un métier, ils proposent leurs services comme laveurs de véhicules ou rabatteurs de clients pour les chauffeurs de voiture en commun fréquentant les gares routières de « Gardnersville », « Duala », « Red Light » et autres « New Georgia ».
Pour une voiture bien lavée ou un véhicule ayant fait le plein de passagers, ils peuvent percevoir 10 à 20 dollars libériens (0,5 à 1 centime d’euros) selon la générosité du propriétaire de véhicule ou du chauffeur.
Au tout début de leurs nouvelles activités, les « zogos» pouvaient individuellement se retrouver à la fin de la journée avec quelque 200 dollars libériens (environ 1 euro). Des recettes qu’ils peinent de plus en plus à collecter depuis que d’autres garçons jetés dans l’errance par les difficultés économiques du pays sont venus leur disputer leur gagne-pain.
Cette nouvelle donne a certainement poussé les « zogos » à de redoubler d’efforts et se battre à tout prix pour survivre, y compris voler ou s’attaquer violemment aux gens pour leur arracher argent, téléphones et bijoux. Retrouvant leur réflexe de « caïd », ils s’adonnent à la drogue, en fumant notamment de la marijuana, histoire de mieux marquer leur territoire dans leur vie faite d’expédients.
Ainsi, s’ils ne se battent pas entre eux, les « zogos » profitent de l’inattention des chauffeurs pour faire main basse sur les bagages des clients qu’ils sont censés hisser sur la toiture des véhicules ou bien ranger dans les coffres. Les chauffeurs ne disposant pas de « car boys » (apprentis) sont les victimes préférées des « zogos ».
« Je n’aime pas avoir affaire à ces zogos. Même si nous les payons chaque fois qu’ils chargent nos véhicules, ils saisiront toutes les occasions pour vous voler. Je suis une victime. Un jour, un zogo m’a volé mon argent quand je suis descendu du véhicule pour sortir les bagages d’un passager à l’arrière du taxi », raconte Saah Josiah, un chauffeur faisant la navette Duala-Monrovia central.
Beaucoup de voyageurs se sont plaints de la disparition de leurs bagages mais les chauffeurs, bien que compatissants à leur infortune, n’osent pas prendre la mesure radicale consistant à se séparer des « zogos ». Et pour cause, ces derniers menacent de représailles quiconque cherche à les priver de leurs activités.
« Il y a quelque temps, mon ami conduisait son taxi sur +Broad Street+ la nuit, quand des zogos ont caillassé son véhicule et endommagé son pare-brise. Vous n’avez qu’à les accepter ou vous risquez de faire endommager votre véhicule ou de vous blesser vous-même », déclare David Karneh, un passager rencontré dans une gare routière de Monrovia.
Quand ils ne soustraient pas subtilement les bagages des voyageurs, ces anciens enfants-soldats reconvertis s’en prennent directement à ces derniers. Une mésaventure qu’a connue Karneh : « Un zogo a pris mon sac à l’arrière d’un taxi à Duala-Market vers 20h, à notre arrivée du comté de Grand Cape Mount ».
A défaut de s’en prendre aux voyageurs, ils ciblent certains passants pour leur arracher en pleine rue sacs, téléphones et autres bijoux.
Fayia Millimounoh, chauffeur de taxi, raconte cette agression dont a été victime un de ses amis, aux environs de 20h : « il se rendait à pied à la rue Broad pour prendre un taxi, quand deux zogos l’ont encerclé. L’un d’eux a sorti un couteau avant de prendre les deux cents dollars libériens qu’il avait dans la poche de sa chemise».
Excédées, certaines victimes n’hésitent pas à leur jouer de vilains tours, à l’image de cette jeune fille de 15 ans. S’étant fait arracher son sac au marché +Red Light+ de Paynesville dans la banlieue de Monrovia, elle est revenue le lendemain au même endroit avec un nouveau sac contenant …des excréments.
Les « zogos » s’en emparent et s’éclipsent. Désagréable fut leur surprise à l’ouverture du sac. En colère, ils reviennent sur leurs pas pour s’en prendre à la jeune fille mais cette dernière avait pris la poudre d’escampette…
Convaincus que pareilles mésaventures ne sont pas de nature à adoucir ces anciens enfants-soldats, les Libériens demandent à l’Etat de les chasser des rues de Monrovia. Une requête restée jusqu’ici lettre morte : après la présidente Ellen Johnson Sirleaf qui a avoué ne pas savoir où les caser, l’actuel régime du Président George Weah n’a pour le moment pris aucune initiative dans ce sens.
La ville de Monrovia est décidément loin de s’être débarrassée de ses « zogos »….
TSS/as/lb/cat/APA