Analyste politique et docteur en économie, Gilles Yabi est le fondateur et le président de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org). Habitué du Forum international de Dakar pour la paix et la sécurité, il dresse le bilan de la dernière édition de cette rencontre qui s’est déroulée récemment dans la capitale sénégalaise.
A son lancement, en 2014, le Forum de Dakar ambitionnait de devenir le lieu de rencontre principal sur la paix et la sécurité en Afrique? Y est-il arrivé ?
S’il n’est pas déjà arrivé à l’être, le Forum international de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique semble, manifestement, tout faire pour y parvenir. Depuis sa première édition en 2014, la rencontre se tient chaque année, excepté en 2020 quand l’édition avait été annulée en raison de la pandémie de Covid19. Dans un continent où ce genre d’initiative n’a pas l’habitude de résister longtemps, cette continuité est en soi très remarquable. La qualité des personnes qui chaque année y prennent part est aussi à souligner: chefs d’Etat, ministres, militaires, universitaires, chercheurs, experts, journalistes, etc. En dehors des sessions officielles, tous ces participants venant d’univers très différents, ont d’ailleurs la possibilité d’échanger dans les couloirs, les salons privés, nouer des contacts, etc.
Jusqu’ici quelques rares forums, dont celui de Tana, qui se tient depuis 2012 sur les berges du lac du même nom en Éthiopie, peuvent se prévaloir de faire un travail d’une qualité similaire.
Depuis sa création, le Forum est co-organisé par le Sénégal et la France. Cette présence de l’ancienne puissance coloniale gêne certains africains. Est-ce votre cas?
La gêne que provoque la présence de l’une puissance coloniale comme la France dans un événement comme celui du Forum de Dakar est compréhensible. Mais il ne faut pas oublier les origines de ce forum. L’idée a germé en marge d’une rencontre entre l’ancien président français, François Hollande, et certains chefs d’Etat africains dont celui du Sénégal. Son pays avait des atouts pour être le pays-hôte d’une telle rencontre: une certaine réputation démocratique, une stabilité politique et institutionnelle reconnues, une expérience d’accueil avérée des sommets et conférences de haut niveau, etc.
Faut-il boycotter un tel événement juste parce qu’il est co-organisé avec l’ancienne puissance coloniale? Le pragmatisme et le réalisme me disent que non. Le seul fait d’avoir une telle rencontre organisée de manière régulière et avec des participants de qualité en Afrique plaide, à mon avis, en faveur de l’organisation de ce genre rendez-vous sur le continent. Peu importe qu’il y ait ou pas une implication étrangère dans son organisation. Dans le contexte actuel où des menaces diverses planent sur certains pays ou régions d’Afrique, le Forum de Dakar est une belle opportunité pour les acteurs de la paix sur le continent. Ceci dit, il est important aussi que les Africains aient d’autres espaces de discussions sans devoir compter sur les moyens et une forte implication de fait des acteurs extérieurs. Rien ne nous empêche de le faire dans des formats adaptés aux contraintes de ressources.
Des sujets qui préoccupent beaucoup les opinions africaines, surtout au Sahel, ne figuraient pas dans les thèmes officiels des ateliers du forum. Est-ce logique?
Deux sujets majeurs étaient, en effet, attendus par beaucoup de participants: l’extension de la violence jihadiste au-delà du Sahel, son terrain historique, vers des régions comme celle du Golfe de Guinée. Mais ces deux sujets ont été abordés à l’occasion de discours ou de débats lors des séances de travail.
La ministre française des Armées, Florence Parly, a évoqué dans son discours, lors de l’ouverture du forum, la question de la fin de Barkhane, l’opération militaire française au Sahel et la transformation de son dispositif dans la région. Elle a aussi réitéré le refus de son pays d’accepter l’arrivée au Mali de la société de sécurité privée russe, Wagner, considérée comme le bras armée extérieur du gouvernement de Vladimir Poutine. Dans les ateliers, les risques d’extension de la menace jihadiste du Sahel vers la région du Golfe de Guinée ont aussi été abordés.
Cela dit, en raison de leur actualité et de leur importance, ces deux questions auraient pu mériter des séances réservées lors de cette édition du Forum de Dakar.
LOS/APA