Le conflit entre le gouvernement fédéral éthiopien et la région semi-autonome du Tigré (nord) plonge les habitants dans une crise humanitaire.
L’Ethiopie semble se diriger vers une grave crise humanitaire. Depuis le déclenchement le 4 novembre d’un conflit armé dans l’Etat semi-autonome du Tigré, plusieurs personnes sont prises au piège par les combats entre l’armée loyale et les insurgés du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Près de 40.000 parmi elles ont déjà fui les combats pour se réfugier vers le Soudan voisin.
Cette situation aggrave davantage le risque humanitaire dans la région. Les effets de plusieurs mois de sécheresse et d’une invasion acridienne en Afrique de l’Est ont rendu la vie très dure pour la nouvelle vague de réfugiés.
Déjà, les agences de secours humanitaire s’efforcent de fournir une aide à quelque 178.000 personnes qui ont fui la répression politique, la pauvreté et la conscription militaire forcée en Erythrée, l’un des Etats les plus reclus du monde. Elles vivaient dans quatre camps à l’intérieur du Tigré, à savoir Mai-Aini, Adi Harush, Hitsats et Shemelba.
Le Tigré est un des dix États semi-autonomes qui forment la fédération éthiopienne. Cette région montagneuse se situe au nord de l’Ethiopie et compte environ cinq millions d’habitants. Près de 500.000 habitants peuplent sa capitale Mekele.
Le conflit actuel est issu de la rébellion du TPLF à l’encontre du gouvernement fédéral du Premier ministre Abiy Ahmed. La volonté de ce dernier de mettre fin courant 2019 au système politique ethnocentré en vigueur depuis 1994 provoque l’affaiblissement par le gouvernement éthiopien de la position de l’ethnie Tigréenne, dirigée par le TPLF.
Cette situation amène le front à refuser son intégration politique au sein du Parti de la prospérité d’Abiy Ahmed, à conduire des élections séparées, puis à entrer en rébellion ouverte en novembre 2020.
L’Erythrée dans tout ça…
Aujourd’hui, le Tigré ressemble à une zone de guerre où des poches sporadiques de troupes du TPLF résistent encore aux envahisseurs que sont les forces fédérales éthiopiennes. En plus de bloquer l’accès des travailleurs humanitaires à ces camps, les deux parties belligérantes ont été accusées d’avoir commis des atrocités sur des civils innocents. Le gouvernement éthiopien a partiellement reconnu sa responsabilité.
Des incidents ont été signalés au niveau des frontières. Les gardes éthiopiens ont empêché des personnes terrifiées par les combats de fuir vers le Soudan, ce qui a contribué à l’augmentation du nombre de déplacés à l’intérieur du pays.
Par ailleurs, l’Erythrée, ex-voisin ennemi de l’Ethiopie, a rejoint dernièrement les combats aux côtés des forces fédérales. Son premier fait d’armes est d’avoir contribué à la dissuasion des Tigréens ordinaires qui voulaient partir.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a annoncé en fin novembre que l’armée avait pris le « contrôle » de Mekele, la capitale du Tigré. Il s’agit selon lui de l’accomplissement de la « phase finale » de l’opération militaire démarrée le 4 novembre. Mais toutes les batailles ne sont pas encore gagnées tant l’insurrection semble longue.
De nombreuses organisations humanitaires, faisant dans l’alerte, rapportent que l’insécurité alimentaire a fini d’assaillir les réfugiés. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a livré en octobre des vivres, des médicaments et d’autres rations à des camps au Tigré. Cependant, elle déplore le fait que les belligérants lui aient refusé la poursuite des actions humanitaires auprès d’autres personnes qui ont désespérément besoin d’aide.
L’ONU estime que deux millions de personnes, dont des déplacés, ont besoin urgemment d’assistance dans cette région, sans oublier les territoires voisins. De nombreux Tigréens qui avaient fui vers le Soudan sont repartis blessés par les tirs croisés ou par le paludisme, et sont actuellement soignés dans des camps.
Séparations sociales
Million, une femme de 24 ans enceinte de neuf mois, est parmi ces patients suivis dans l’un des camps par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). La vie dans cet endroit est comme un « trou noir » où on lui a dit de rester parce que le bébé peut venir d’un moment à l’autre, décrit-elle.
A l’instar de dizaines de milliers de Tigréens, Million a fui la capitale Mekele quand les troupes fédérales avançaient vers la ville en début décembre. Elle a laissé derrière elle son mari sans savoir où il se trouvait.
Naga, un réfugié de 30 ans, a raconté au CICR comment des hommes armés étaient arrivés dans son champ de sorgho, dans la localité de Humera au Tigré. Ils ont ouvert le feu sur lui alors qu’il était sur le point de commencer ses récoltes. Il n’a toutefois pas été en mesure d’identifier les assaillants.
Avec son épouse et sa jeune fille, Yavish a réussi à s’enfuir sur une charrette tirée par un âne. Arrivés à la frontière soudanaise, ils ont pu accéder aux soins de la Croix-Rouge locale.
Dans la ville soudanaise de Hamdayet, séparée de l’Ethiopie par le fleuve, les réfugiés font face à la réalité des camps accueillant des civils en fuite. Trouver de l’eau et des installations sanitaires est devenue une corvée quotidienne pour eux.
Par ailleurs, les communications téléphoniques et Internet sont toujours coupés au Tigré. Malgré leur dévouement, les travailleurs humanitaires ne cachent pas leur crainte pour cette région qui est au bord de l’une de ses pires catastrophes.
D’ores et déjà, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a appelé au rétablissement rapide de la loi et de l’ordre dans la région. Il faut à tout prix éviter la catastrophe humanitaire qui pourrait briser la conscience du monde, a mis en garde le diplomate.
WN/as/odl/te/APA