« Des occasions de normaliser la situation en Libye ont pourtant existé. Mais elles n’ont pas eu la suite qu’elle méritait », explique, en exclusivité pour Apa news, le spécialiste de la Libye, Jalel Harchaoui, chercheur à Global Initiative Against Transnational Organized.
Le 20 octobre 2011, le leader libyen Mouammar Kadhafi est assassiné dans la foulée d’une insurrection armée soutenue par la France, l’Otan, et plusieurs pays arabes. Dix ans après, la Libye est toujours en crise. Pourquoi ?
Après la mort du Colonel Mouammar Kadhafi et le retrait des forces françaises et leurs alliés de l’Otan qui ont joué un rôle majeur dans la chute du régime kadhafiste, les Libyens se sont retrouvés profondément divisés sur les voies et moyens de reconstruire les institutions politiques du pays et sur le modèle politique à adopter. Les premiers signe de ce qui deviendra une interminable crise se sont manifestés dès l’élection de la première Assemblée nationale post-Kadhafi, le 7 juillet 2012. Un Congrès général national (CGN) devait alors remplacer le Conseil national de transition (CNT), l’organe politique des insurgés. Mais l’élection, dont divers groupes et personnalités issus du courant islamiste sont les vainqueurs, est entachée par des actes de violence qui vont se propager un peu partout dans le pays, poussant même les ambassades étrangères à se retirer de la Libye. Au cours de l’année 2014, le pays bascule complètement dans la guerre et le gouvernement se montre incapable d’endiguer la violence qui touche désormais les installations pétrolières.
C’est dans ce contexte que le général Khalifa Haftar, nommé chef de l’Etat-Major des armées à la chute de Kadhafi, va tenter de reprendre le contrôle de la situation. Mais son rêve de devenir le nouvel homme fort de la Libye se heurte aux milices de Tripoli et Misrata, ce qui l’oblige alors à se replier dans son fief de l’est du pays, Benghazi. Il y installe un gouvernement parallèle, jamais reconnu par aucune puissance étrangère, malgré les appuis discrets de plusieurs pays dont la France, les Emirats-Arabes, l’Egypte, etc.
En décembre 2015, un accord laborieusement négocié sous l’égide de l’Onu est signé par des représentants de la société civile et des membres du parlement, à Skhirat, près de Rabat la capitale du Maroc. L’accord est censé déboucher sur la mise sur pied d’un Gouvernement d’union nationale (GNA, pour Government of National Accord) censés être représentatif des principales forces politiques engagés dans la crise libyenne. Basé à Tripoli en mars 2016, ce GNA a comme chef Son Fayez al-Sarraj. Mais la clan pro Haftar, basé dans l’Est, ne reconnait pas le nouveau gouvernement. Son parlement qui est issu de l’ancienne Assemblée nationale, retirée à Tobrouk, et son cabinet parallèle refusent de reconnaître le GNA.
Le pays se trouve alors complètement enfoncé dans la crise. D’un côté, il y a le GNA qui tient l’Ouest et de l’autre l’autoproclamée Armée nationale Libyenne ( LNA, pour Libyan national army en anglais) du Maréchal Haftar à l’Est, le tout en présence d’une myriade de groupes armés islamistes dont le plus redoutable est celui affilié à l’Etat islamique (EI) qui a fait d’énormes dégâts avant d’être largement défait en 2017.
En avril 2019, le maréchal Haftar lance une nouvelle offensive qui conduit ses hommes aux portes de Tripoli. Bien que soutenus par des mercenaires russes, ils sont finalement repoussés au printemps 2020, suite à une intervention de l’armée turque aux côtés des forces du GNA.
Malgré la signature en octobre 2020 d’un cessez-le-feu censé ouvrir la voie à une solution négociée pour un retour à la paix, la situation reste très fragile sur le terrain au point qu’il n’est pas garanti que les élections législatives et présidentielle prévues le 24 décembre prochain puissent avoir lieu.
Quelques facteurs auraient pourtant pu faire évoluer la situation vers la paix et la normalisation de la situation politique dans le pays. Une implication forte d’acteurs majeurs comme les Etats-Unis et l’Union européenne aurait largement aidé les Libyens à trouver un accord de paix solide entre les Libyens. Mais deux acteurs ne semblent encore manifester la volonté de s’impliquer sérieusement dans la crise libyenne. Washington préfère pour l’instant laisser le dossier libyen entre les mains de certains des ses alliés, même si ces derniers sont complètement opposés sur le terrain, comme les Emirats et l’Egypte qui soutiennent Haftar et la Turquie, membre de l’Otan, allié du GNA de Tripoli.
Quant à l’Union européenne, elle est paralysée sur le dossier libyen par les divergences entre certains de ses membres engagés en Libye comme l’Italie t le France.
Des occasions de normaliser la situation en Libye ont pourtant existé. Mais elles n’ont pas eu la suite qu’elle méritait. L’accord signé entre les acteurs libyens dans la ville marocaine de Skhirat le 17 septembre 2015 aurait pu servir de base à un début de règlement définitif de la crise libyenne. Mais à chaque fois qu’une avancée pareille est enregistrée, elle est suivie ou accompagnée par une ou deux initiatives qui sont tout sauf censées contribuer au calme, comme l’envoi d’armement par une puissance étrangère à un de ses allies libyens.
Une Accalmie est observée sur le terrain depuis quelques temps entre les principaux acteurs de la crise libyenne. Est-ce le résultat des efforts de médiations de l’Onu par exemple ?
Le calme qui règne en ce moment en Libye est tout sauf le résultat des efforts des différents médiateurs qui ont tenté d’aider les Libyens à retrouver la paix. Cette accalmie tient de l’évolution du rapport de force sur le terrain entre le GNA et le camp du Maréchal Haftar. Chacun de ces camps doit une grande partie de ses forces à ses soutiens extérieurs, principalement la Turquie pour le GNA et la Russie pour Haftar. Ces deux puissances ne sont pas engagées en Libye pour une guerre sans fin. Derrière leurs soutiens à leurs amis libyens, se cachent des visées sur les futurs marchés liés à la reconstruction de la Libye post-conflit. Une sorte d’équilibre des forces est aujourd’hui manifeste et chacune de ces puissances semblent s’en accommoder en attendant que la situation se normalise.
Dix ans après la mort de Kadhafi, que reste-t-il de ses soutiens en Libye ?
Le camp des partisans, sympathisants ou nostalgiques du régime du colonel Kadhafi reste significatif. Les Kadhafistes restent nombreux dans différents secteurs d’activités en Libye, même si cela est à titre individuel et non collectif. Des cadres issus de l’ancien régime sont actifs aussi bien dans les affaires qu’au sein de l’administration, y compris au gouvernement où les ministères des finances et celui de l’économie sont aujourd’hui tenu par d’anciens kadhafistes.
Le camp de Kadhafi dispose encore d’excellents cadres dotés d’expérience avérée en politique, dans le domaine de l’administration, la sécurité, le renseignement, les affaires, etc.
Les kadhafistes représenterait environ le tiers de libyens. Cependant, il n’est pas sûr qu’ils soient aussi unis qu’on puisse l’imaginer ou qu’ils disposent d’un leadership capable de les mener vers un retour au pouvoir en gagnant les élections par exemple. Seif El Islam Kadhafi, qui est était durant les dernières années de pouvoir de son père donné comme son successeur et qui présenté aujourd’hui comme un éventuel candidat la présidence du pays, n’est probablement pas ce fameux chef derrière lequel les partisans de son père pourraient tous se ranger. En dépit de la libération qui lui a été accordée par les milices de la ville Zenten qui l’avaient arrêté et emprisonné, il n’a toujours pas fait le moindre meeting, ou enregistrement vidéo destiné à ses partisans. Ses seules déclarations diffusées jusqu’ici l’ont été par le biais d’interviews accordées à la presse étrangère, américaine notamment. Ce qui est trop peu pour un homme qui rêve de récupérer le pouvoir dix ans après que son père l’avait perdu.
LOS/APA