Riche de sa diversité culturelle et de ses atouts naturels, cette région située à l’est du Sénégal cherche la voie du développement.
Après une matinée pluvieuse en cette journée de mi-juillet à Kédougou, une des régions orientales du Sénégal, un adolescent fait progresser lentement sa barque sur le fleuve Gambie. Sous un ciel nuageux et loin des cultures qui fleurissent autour du cours d’eau long de plus de mille kilomètres, le garçon continue de ramer jusqu’à hauteur d’un arbuste auquel il accroche son embarcation. « Il fait de la pêche paresseuse », sourit Gérome Symbiane, habitant de Diembéring, une commune insulaire de Ziguinchor (sud) où il a l’habitude de voir cette façon de chercher du poisson.
En visite dans « la terre des hommes », traduction du terme Kédougou en langue mandingue, il ne peut s’empêcher de s’indigner face au sous-développement de cette localité à la géographie « accidentée » et située à plus de 700 kilomètres, au sud-est de Dakar. À l’entrée de la ville, on se croirait dans un grand village avec taudis et cases en banco résistant aux efforts d’urbanisation des autorités. Cette réalité choque même les 210.000 habitants de la région, le plus bas nombre d’habitants du pays qui compte 18 millions en 2023, selon l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie, certains considérant qu’ils vivent « dans un autre Sénégal » dépourvu d’infrastructures de base et oublié des politiques de développement.
« Kédougou dispose d’énormes potentialités naturelles et économiques. C’est une région très boisée. Elle est le dernier bastion de la faune au Sénégal où on pratique encore la grande chasse. Kédougou dispose d’assez de terres pour une population très faible. C’est une région très pluvieuse qui reçoit en moyenne des précipitations d’une hauteur d’eau de 1300 millimètres par an. Elle dispose aussi de beaucoup de cours d’eau sans compter les richesses de son sous-sol (or, marbre, …) », explique Kalidou Cissokho, directeur de l’Agence régionale de développement (ARD), le bras technique du gouvernement chargé de coordonner et d’harmoniser les interventions et initiatives des collectivités en matière de développement local.
Volonté politique
Originaire de cette région qui fait 16 800 km2, il a très tôt troqué une carrière dans l’enseignement secondaire pour s’investir dans le désenclavement de Kédougou, érigée en région depuis 2008 après un nouveau découpage de la région de Tambacounda. Si une route bitumée permet maintenant aux voyageurs de parcourir les 700 kilomètres qui séparent Kédougou de Dakar sans grandes secousses, cette vaste région manque toutefois « d’infrastructures routières pour faciliter la circulation des populations et l’accès aux zones de production », déplore M. Cissokho.
En revanche, a-t-il précisé, « depuis l’érection de Kédougou en région, beaucoup de choses ont changé. Il y a une volonté politique d’exploiter certaines ressources minières » telles que l’or qui fait courir beaucoup de ressortissants de pays de la sous-région prenant d’assaut les « djouras », ces sites de recherche artisanale du métal précieux qui sont souvent sources de problèmes pour l’environnement et la sécurité.
Face à cette situation et devant l’implantation de sociétés minières, certains habitants opposés aux activités d’orpaillage en viennent souvent aux mains avec les autorités. C’est le cas récemment dans le village de Tomboronkoto où de violents affrontements avec les forces de l’ordre ont conduit à l’arrestation d’une quinzaine de personnes. Selon l’Agence de presse sénégalaise (APS), ces dernières ont tenté d’imposer leur véto à la poursuite des opérations d’exploration minière aux alentours de leur village par la compagnie Petewol Mining Company (PMC), filiale du groupe britannique Toro Gold.
« L’utilisation des produits chimiques dans l’exploitation artisanale ou semi-artisanale de l’or est en train de polluer les eaux de surface et, quelque part, les eaux souterraines. Aujourd’hui, la Falémé (affluent du fleuve Sénégal) est complètement détériorée par l’exploitation artisanale, surtout semi-mécanisée, avec la présence des entreprises chinoises », déplore Kalidou Cissokho.
Une région, « 37 nationalités »
A Kédougou, « on dénombre plus de 37 nationalités actuellement dans les sites d’orpaillage », note de son côté Carim Camara, chargé de communication de Sen-Résilience, un projet mis en œuvre par la fondation politique allemande Konrad Adenauer pour renforcer la cohésion sociale des populations et des acteurs en vue de prévenir les menaces de l’extrémisme violent dans cette région.
Cette initiative s’explique par le fait que Kédougou partage une frontière avec la Guinée et le Mali, un pays dont une grande partie du territoire est contrôlé par des groupes jihadistes, et compte tenu du fait que « la diversité linguistique, culturelle, religieuse, d’idéologie et les trafics illicites (armes, produits toxiques, etc.) font des sites aurifères une zone de haute tension ».
En même temps, l’exploitation de l’or, qui semble plus lucrative, éloigne une bonne partie de la population des terres agricoles alors qu’Ousmane Soumaré, président du Conseil régional de la jeunesse kédovine, se glorifie du fait « qu’il pleut beaucoup plus » dans cette région qu’à Ziguinchor (sud), une des régions de la Casamance naturelle considérée comme « le grenier du Sénégal ».
Cependant, le directeur de l’ARD rappelle que « l’Etat fournit beaucoup d’efforts pour booster l’agriculture dans la région avec la mise en œuvre de différents programmes ». Mais « le problème majeur demeure l’accès aux zones de production. Donc il y a beaucoup de défis à relever au niveau de l’agriculture à savoir l’accès aux zones de production, les matériels de labour, de récolte et de post-récolte. Ce sont des éléments extrêmement importants si on sait que la main-d’œuvre agricole est rare et difficile (à convaincre) parce que les acteurs sont orientés vers l’orpaillage traditionnel », souligne-t-il.
Potentiel touristique et culturel
En outre, Kédougou regorge d’« un potentiel touristique énorme » qui se résume chez certains néophytes aux chutes d’eau de Dindéfélo, situées non loin de la Guinée, fait remarquer M. Soumaré, indiquant que les jeunes représentent « 67% de la population » de Kédougou. Ce très beau site attire des étrangers et l’Etat a entrepris le goudronnage de la route menant dans cette commune pour mieux faire vivre l’économie autour du tourisme. Mais comme l’ont laissé entendre certains habitants, le foisonnement de réceptifs hôteliers connaît un rythme lent dans la zone.
Avec la modicité de son budget, la nouvelle équipe municipale de Kédougou, dirigée par le directeur de la société nationale de transport public Dakar Dem Dikk, Ousmane Sylla, s’appuie sur de jeunes profils diplômés, à l’image de Gilbert Kanté, pour tirer des dividendes sur le marketing territorial. « Le digital est un bon outil pour valoriser » la diversité culturelle de Kédougou à travers son Pays Bassari où cohabitent paisiblement Bassari et Bédik, des ethnies minoritaires classées au patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), précise M. Kanté, lui-même produit des Bédik qui ne font « pas plus de 3000 » personnes actuellement.
Malgré tout, il indique que son ethnie, particularisée par ses habitats en haut des montagnes de la région, garde jalousement plusieurs « connaissances liées à la médecine avec les plantes » sans compter les valeurs d’endurance et de paix qu’elle partage surtout avec les Bassari qui sont, eux, surnommés « les fils du caméléon » dans une Kédougou qui espère trouver un visage plus rayonnant dans les prochaines années.
ODL/ac/APA