Le phénomène des enfants des rues est l’un des défis sociaux auxquels sont encore confrontés plusieurs pays africains. Le Sénégal en est un : des milliers d’enfants « errants » font partie du décor quotidien des rues de Dakar en particulier.
C’est un rituel invariable. Chaque jour Ibrahima Diallo se lève aux aurores. Après sa leçon quotidienne de Coran, puis la prière de l’aube, le jeune adolescent s’engouffre dans les rues de Dakar, capitale surpeuplée du Sénégal, espérant trouver de quoi « payer » son maître, selon une tradition bien ancrée dans certaines ethnies musulmanes d’Afrique de l’Ouest.
« Chaque soir, je dois lui ramener 500 francs CFA. Tant que je ne les ai pas trouvés, je ne m’arrête pas de marcher », dit le garçon, 16 ans, le visage sale et les vêtements crasseux au milieu de cinq compagnons qui ne présentent pas mieux.
« Je ne me souviens plus la dernière fois que j’ai vu mes parents », se désole le garçon qui dit avoir 16 ans alors qu’il en fait beaucoup moins en apparence.
A Dakar, comme dans la plupart des grandes villes se trouvant le plus à l’ouest du continent, ils sont des milliers d’enfants et d’adolescents à être contraints à la mendicité par leurs maîtres coraniques. « Un des dernières études gouvernementale datant de 2014 estime qu’il y a près de 30000 enfants de rue dans la seule ville de Dakar », affirme Mamadou Wane, sociologue spécialiste des politiques de l’enfance et coordonnateur de la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH, un collectif d’associations sénégalaises).
Ibrahima dit qu’il se plaît à Dakar, où la vie « est meilleure » que dans son village de la région de Kolda à plus de 700 kilomètres au sud-est. Pourtant, l’adolescent ne parvient pas toujours à trouver quoi ramener à son maître, sauf « à voler » ou « confisquer le versement » de ses jeunes condisciples. La pratique est courante chez Ibrahima et ses semblables.
Dans les « daaras » (école coranique en wolof), il est fréquent que les talibés soient violemment punis s’ils ne parviennent pas à réunir la somme journalière exigée par le maître. Selon le directeur de la protection des droits de l’enfance du Sénégal, Ndiokhobaye Diouf, « la mendicité rapporte plus de 100 millions de FCFA par an, et le deux tiers de cette somme sont versées aux maîtres coraniques ».
À Dakar comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, Ibrahima et ses camarades ont leur lieux favoris : les restaurants, les magasins, les banques, les intersections des artères les plus fréquentées par les automobilistes, les quartiers chics aussi.
Selon un rapport publié en juin 2019 par l’Ong de défense des droits humains Human Rights Watch, le Sénégal compterait environ 100 000 enfants talibés « forcés de mendier tous les jours ». Un chiffre impressionnant pour un pays de 15 millions d’habitants seulement. A titre comparatif, le Maroc dont la population représente plus du double de celle du Sénégal compte environ 25000 enfants vivant dans la rue.
Le 30 Juin 2016, le gouvernement du Sénégal avait lancé une opération de retrait des enfants de la rue. Mais en raison des résistances sociales et culturelles, celle-ci n’a abouti qu’au retrait de seulement 1585 enfants la même année dont 400 étrangers reconduits dans leurs pays d’origine et 339 en 2018.
Parmi les moyens utilisés pour convaincre, enfants, parents et maîtres coraniques à collaborer à ce programme, « le gouvernement a financé des microprojets pour 15 Daaras et octroyé des bourses de sécurité familiales à 60 foyers », explique Diouf qui regrette que le « phénomène est toujours là ».
Selon l’Unicef, sur les 120 millions d’enfants de la rue dans le monde, dont le quart, soit 30 millions, se trouvent en Afrique. « Dans une grande partie des grandes et moyennes villes africaines, c’est un véritable phénomène », déplore Mamadou Wane. Pour cet ancien cadre de l’Unicef, la situation n’est toutefois pas la même selon les pays et les régions.
« En Afrique de l’Est, il est insignifiant par rapport à d’autres zones comme l’Afrique de l’Ouest par exemple. Certains pays, comme le Rwanda l’ont d’ailleurs vaincu grâce à des mécanismes juridiques et politiques intelligents», soutient le spécialiste.
OKF/los/APA