Le président Félix Tshisekedi a mis du temps à mettre en place son nouveau gouvernement. Dans un entretien avec APA, son compatriote Ivan Vangu Ngimbi, enseignant à la Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives de l’Université de Kinshasa, décrypte la situation.
Le président Tshisekedi a attendu presque deux mois après la nomination du Premier ministre Sama Lukonde Kyenge pour former un nouveau gouvernement. Comment l’expliquez-vous ?
Plusieurs facteurs peuvent justifier ce retard qui était devenu une longue attente pour les Congolais. Il y a d’abord la relative facilité avec laquelle le président a fait main basse sur la majorité parlementaire de son prédécesseur (Joseph Kabila). Elle est amplifiée par ailleurs par l’ADN de la classe politique congolaise dont la transhumance et l’inconstance sont presque une seconde nature. Ce basculement de la majorité a compliqué la donne dans les arbitrages puisque les transfuges sont arrivés avec des agendas cachés culminant par la quête des postes.
La nécessité de renouvellement de la classe politique dictée par la pression populaire avec pour conséquence la mise hors-jeu des caciques, souvent patrons des partis politiques qui s’estiment candidats de droit aux postes ministériels, peut également expliquer ce retard. Le même constat peut être fait avec les ambitions professionnelles individuelles dans le contexte sociopolitique congolais où depuis plus de trois décennies, seule la politique est devenue l’activité lucrative par excellence et le motif idéal d’enrichissement rapide sans cause.
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Le troisième point d’analyse est le manque d’assise politique du Premier ministre ballotté entre plusieurs centres de décisions combinés à la volonté délibérée du président d’avoir un gouvernement sous contrôle, sans omettre l’influence souterraine de la Première dame qui exigeait un quota significatif de femmes. Tous ces facteurs ont pesé lourdement et justifient ce retard qui a déclenché une impatience légitime de la population congolaise confrontée à un sentiment de vide étatique.
Ce gouvernement dit de l’« Union sacrée» est composé de 57 membres, soit dix de moins que la précédente équipe. Qu’est-ce qui fait sa particularité ?
C’est le rajeunissement et le renouvellement des figures qui font pour la grande majorité leurs débuts dans les fonctions ministérielles. A cela s’ajoute le nombre non négligeable des femmes dont le taux approche les 30 %. Une première depuis très longtemps.
Mais avec un tel nombre de ministres, pensez-vous que l’efficacité gouvernementale sera au rendez-vous à deux ans de la présidentielle ?
Personne ne peut prédire, au stade actuel, les chances de réussite de ce gouvernement en raison à la fois du contexte politique (éclaté) susceptible de connaître des répliques comme dans chaque épisode de tremblement de terre. Au plan économique, les caisses sont vides. Socialement, les attentes des populations sont nombreuses sans oublier les conséquences induites par la pandémie de Covid-19. Quelqu’un a dit, à juste titre, que même les profils des ministres ne nous intéressent plus. Seuls compteront désormais les résultats. C’est dire que pour le commun des Congolais, ça balance entre l’espoir et l’inquiétude. Au gouvernement de lever l’équivoque grâce aux résultats escomptés.
Quelles seront les priorités du nouveau gouvernement ?
Ça peut faire sourire mais tout est priorité. Mais plus sérieusement, les questions sécuritaires, économiques et sociales vont être au premier plan. La situation reste explosive à l’Est du pays et le gouvernement doit rétablir l’autorité de l’Etat. Par ailleurs, il y a un besoin de reconsolider l’unité nationale malmenée par des assauts de tribalisme et de séparatisme. Les caisses sont vides en même temps que le pouvoir d’achat a terriblement dévissé. La production industrielle est au plus bas, les infrastructures notamment routières sont dans un état piteux, les systèmes sanitaire et éducatif sont médiocres etc. Bref, il y a du pain sur la planche et pour que les résultats en termes d’amélioration soient palpables, il faudra plus que deux ans. Ce qui nous ramènera déjà à 2023, année de fin de mandat pour l’actuel locataire du Palais de la Nation.
ODL/te/id/APA