Le visage du ministre de l’Administration territoriale (MINAT), Paul Atanga Nji, apparaît en couverture de plusieurs journaux camerounais parus lundi et qui évoquent, en chœur, la croisade engagée par le gouvernement depuis le début de la semaine contre le phénomène des coupeurs de route dans la région de l’Adamaoua.
Au moment où le tri-hebdomadaire régional L’œil du Sahel signale l’enlèvement, par des bandits de grand chemin, de deux chefs de village dans ladite région, Le Quotidien de l’Économie rappelle, à juste titre et pour le déplorer, ce que certains avaient pris pour un épiphénomène au début des années 80, redevenu un foyer ardent avec des conséquences tragiques sur les conditions de vie des populations, avec des marques indélébiles de destruction du secteur de l’élevage.
Le Quotidien, pendant ce temps, se fait fort de signaler la détermination affichée des autorités, à travers le MINAT, à restaurer l’autorité de l’État et la paix dans la zone, ce que son confrère Le Jour résume par «la méthode Atanga Nji pour l’Adamaoua», dont les résultats restent toutefois attendus.
Les choses seraient certainement plus simples s’il ne s’agissait que de bandes de brigands à combattre, soupire Le Soir : mais voici que, contre toute attente, de forts soupçons de collusion pèsent sur plusieurs chefs traditionnels de la région, accusés de susciter la création ou d’entretenir l’existence de ces bandes de brigands, pour profiter des fruits de leurs rackets.
Sur un ton martial, relate le bihebdomadaire Repères, Paul Atanga Nji a interpellé les chefs traditionnels. Il leur a demandé d’être de véritables auxiliaires de l’administration en collaborant avec les représentants de l’État. Pour le ministre, ceux des chefs traditionnels dont la complicité sera établie avec les criminels seront traqués, destitués et jetés en prison.
Le message, traduit le quotidien à capitaux publics Cameroon Tribune, est celui de la détermination du chef de l’État à éradiquer le phénomène d’enlèvements qui sévit dans cette partie du pays.
InfoMatin va plus loin sous le titre «Atanga Nji, le Coran, les preneurs d’otages et les coupeurs de route», en rapportant que, sur le terrain, le MINAT a dû contraindre les gardiens de la tradition de la région à jurer, sur les Saintes Écritures, de ne pas être les complices des bandits de grand chemin, non sans réitérer, face à ses interlocuteurs, que l’État a la volonté et les moyens de mettre fin à la terreur.
«Depuis un certain temps, il se passe des choses d’une extrême gravité dans la région de l’Adamaoua, détaille le membre du gouvernement dans les colonnes de ce quotidien à capitaux privés. Les populations sont victimes d’exactions à répétition. Les enlèvements de femmes, d’hommes, de commerçants sont régulièrement enregistrés. Des prises d’otages sont récurrentes contre des rançons ; le bétail est volé. Nous avons l’impression que des gens agissent en bandes organisées, et que ces criminels bénéficient malheureusement de complicités.»
Pour Paul Atanga Nji, résume Le Jour, il n’y a pas de doute sur la complicité des chefs traditionnels dans les prises d’otages dans l’Adamaoua.
L’Adamaoua constitue un véritable guêpier pour le gouvernement, renchérit L’Indépendant, sur ce front de prise d’otages, ainsi que le qualifier Émergence, où règne l’hypocrisie et l’omerta.
Et InfoMatin de rappeler l’audience accordée, le 14 janvier, par le MINAT à une délégation d’élites de la région et au terme de laquelle, s’exprimant face à la presse, leur représentant avait évoqué de forts soupçons de complicités au sein de la population, notamment dans les localités les plus touchées par le phénomène.
Un autre visage, un autre sujet qui fâche et qui revient à la Une des journaux locaux est celui du nouveau ministre délégué à la Justice, Jean de Dieu Momo, qui, dimanche, a suscité une crise diplomatique avec Israël à travers des propos jugés antisémites sur le plateau de la télévision nationale.
À travers une comparaison maladroite entre les tensions tribales au Cameroun, qui seraient exacerbées par des leaders et militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC, opposition) et qui se rapprocheraient de l’holocauste perpétré par l’Allemagne nazie contre les Juifs, Ouest-Échos crie à «la honte de ça !».
Pour Le Jour, cette sortie n’est pas sans susciter un certain malaise au sein des chefs traditionnels de la région de l’Ouest, plus que jamais divisés, avec des positions ambiguës non seulement sur les propos de M. Momo, qui a dénoncé ceux qui veulent utiliser une partie du peuple bamiléké contre les autres tribus du pays, en leur laissant croire qu’il faut prendre le pouvoir pour instaurer la méritocratie, mais également sur les grandes questions nationales de l’heure.
Il y a comme une indignation sélective dans cette affaire, constate Repères : le dérapage langagier de Jean de Dieu Momo est le levain propice à l’entretien de la confusion mâtinée d’une bonne dose de mauvaise foi, en même temps que cette bourde occulte quelque peu le fond de sa pensée non dénuée de tout fondement.
«Une frange de sa communauté d’origine, les Bamiléké, qui crie aujourd’hui au loup, ne lui a jamais pardonné son soutien à Paul Biya lors de la dernière présidentielle, au point de le traiter de traître. Une belle illustration de la dérive tribale qu’on prétend, justement, dénoncer.»
On veut ériger le sujet sur le tribalisme en tabou, confirme Mutations, revenant sur le communiqué du ministre de la Communication, Emmanuel René Sadi, qui s’est empressé de présenter à Israël les plates excuses du gouvernement tout en rappelant que son collègue s’était exprimé en sa qualité de président national du parti les Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (Paddec, majorité présidentielle), et non de membre du gouvernement, et ce dans le cadre de la politique interne du Cameroun.
Pour la publication, cette tentative d’étouffer Jean de Dieu Momo traduit une grosse hypocrisie, et ne lasse de questionner par ces temps de montée tous azimuts des replis identitaires : «C’est un indicateur, parmi tant d’autres, de ce qu’il y a péril en la demeure et que l’on n’a plus le droit de continuer à faire la politique de l’autruche.»
Le seul tort de celui qui, dans le civil, est également un avocat, répond en écho Essingan qui restitue par ailleurs les propos controversés, est d’avoir dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.
Reste, déplore The Guardian Post, que cette affaire est loin d’être clôturée : en se désolidarisant du ministre délégué à la Justice, le gouvernement met en même temps la pression sur le chef de l’État, désormais obligé de trancher et donc, probablement, de limoger un membre du gouvernement nommé seulement le 4 janvier dernier.
FCEB/cat/APA