Les réseaux sociaux au Cameroun semblent, depuis deux années, devenus une arène de défoulement politique et de règlement de comptes, mais aussi un vecteur de haine.
A travers les plateformes dédiées, les échanges sans filtre traduisent une violence à distance sans doute jamais égalée, qui s’est accentuée ces derniers mois sur les champs de la politique et du tribalisme.
Ce déferlement de passions, qui s’accompagne de la dissémination tous azimuts de fausses informations («fake news»), s’est amplifié lors de la campagne électorale d’octobre 2018, mettant désormais en scène deux camps intégristes : les «tontinards» et les «anti-sardinards».
Les premiers, qu’on dit proches du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc, opposition), sont stigmatisés pour être abonnés à la tontine, l’esprit tout tendu vers la recherche effrénée du bénéfice, de l’argent par tous les moyens et donc présumés malhonnêtes.
Quant aux autres, partisans ou assimilés au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc, au pouvoir), sont vus comme des gens manquant d’ambition, toujours prêts à se contenter du pain et de la sardine que cette formation a l’habitude d’offrir pour acheter des consciences.
Cette guerre, qui dégénère parfois en violences physiques, a vu l’avènement d’une «Brigade anti-sardinards» constituée de compatriotes vivant en Europe, et dont les derniers faits d’armes sont les deux tentatives, voici une dizaine de jours, de déloger le couple présidentiel de l’hôtel Intercontinental de Genève où Paul et Chantal Biya passaient leur séjour privé.
Pour ces intégristes, qui s’attaquent en outre à des artistes accusés d’être proches du pouvoir de Yaoundé, M. Biya a mis le Cameroun à genoux, doit réparer les dégâts et n’aura plus jamais la paix hors du pays.
Il faut, véritablement se préoccuper de ce phénomène, au regard de la recrudescence du problème du basculement des leaders et acteurs sociopolitiques dans la haine tribale, s’émeut le sociologue Serge Aimé Bikoï, pour qui les réseaux sociaux se muent aujourd’hui en terreau de rivalités politiques, toute chose devenue fort préjudiciable, au moment où certains universitaires se prêtent à ce jeu délirant au point d’attiser l’ethnocentrisme et l’ethno-fascisme.
Depuis des mois, les parlementaires devraient tabler sur le vote d’une loi contre le tribalisme, dans le dessein de voir un début de sanctions pénales des comportements liés à la haine tribale. Mais, visiblement, même pendant la présente session parlementaire, dont la fin est imminente, aucun projet de loi n’a été déposé. D’où le questionnement autour de la non-considération du tribalisme comme problème essentiel. C’est comme si l’État entretient le tribalisme à des fins de conflictualisation permanente des acteurs politiques. Mais pour quel dessein ?»
Et l’avocate Alice Angèle Nkom, par ailleurs défenseure des droits de l’homme, de renchérir, s’agissant des règlements de compte à distance : pourquoi s’en prendre au messager pour occulter la responsabilité, et même la culpabilité de l’auteur du message ?
Pour elle, tenter de réguler les réseaux sociaux, ainsi que le gouvernement en brandit la menace depuis des mois, serait une grave erreur qu’il faut éviter de commettre dans la recherche de vraies solutions aux vrais problèmes, la sagesse voulant qu’on ne donne jamais tort au messager. «Les mêmes causes ne cesseront pas de produire les mêmes effets», ajoute-t-elle.
Pour le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, il n’échappe à personne que les réseaux sociaux, en particulier, sont devenus l’espace privilégié de la dissémination de fausses nouvelles, de l’amplification des rumeurs et de la déformation de la réalité.
«C’est pourquoi, a-t-il déclaré en fin janvier dernier, nous devons nous aussi investir ces espaces, afin d’anticiper davantage sur la diffusion de l’information gouvernementale qui doit devenir la référence, et le cas échéant, afin de raccourcir le temps de réaction à des situations qui pourraient nous être opposées.»
FCEB/te/APA