Digital Africa a initié un programme, doté de plusieurs millions d’euros à l’intention des startups africaines. Sa directrice générale, Stephan Eloise Gras, revient dans un entretien avec APA sur le bien-fondé de ce projet.
Digital Africa a lancé Fuzé, un programme à destination des startups africaines francophones, doté de 6,5 millions d’euros. Quelle est la pertinence de ce programme?
Les entrepreneurs d’Afrique francophone plus qu’ailleurs en Afrique ont besoin du coup de pouce pour mieux se lancer. En 2021, malgré une année record pour les levées de fonds des startups du numérique sur le continent, les jeunes pousses d’Afrique francophone ont attiré moins de 10% des investissements réalisés. Dans cette région, on constate qu’il y a moins de ressources disponibles pour les entrepreneurs, mais aussi moins de projets qui arrivent à une maturité suffisante pour attirer des investissements étrangers. C’est le serpent qui se mord la queue.
Digital Africa s’attaque à ce problème en proposant un financement pouvant aller jusqu’à 50 000€ pour des équipes fondatrices d’Afrique francophone qui ont un projet prometteur, qui utilisent la technologie pour le développer et qui sont accompagnées par des structures locales. Nous voulons permettre aux entrepreneurs de mieux passer du stade d’idée à un stade plus avancé de leur développement : le moment où la start-up passe à l’échelle, où la fusée est en orbite.
Fuzé est donc un propulseur de start-ups : en français c’est la fusée propulsée dans l’espace qui a besoin de carburant pour mieux suivre sa trajectoire, et en anglais le « fuse » : le détonateur.
A Digital Africa, vous vous concentrez sur une étape essentielle que vous appelez l’ « idéation ». Pourquoi?
Notre mission est d’aider les entrepreneurs tech africains à concevoir et passer à l’échelle des innovations numériques au service de l’économie réelle.
La jeunesse en Afrique, et ailleurs, ne manque pas d’idées. La concrétisation de ces idées en une start-up à fort potentiel demande des outils, des compétences spécifiques en matière de technologie, de l’accompagnement par des professionnels, du financement, beaucoup de volonté et sans doute un peu de chance. Or, les investisseurs traditionnels évitent souvent cette étape très risquée, appelée « vallée de la mort » dans le jargon. Ils préfèrent accompagner des entrepreneurs ayant déjà franchi les premières avancées concrètes. C’est dire d’ailleurs si l’étape d’idéation est importante et difficile : plutôt que de la naissance d’un projet, on parle d’éviter sa mort!
Digital Africa fait le pari de soutenir les entrepreneurs dès leurs débuts, c’est-à-dire dès la mise en marche du projet, pour mieux passer de l’idée au produit puis au business qui marche, et enfin à l’entreprise qui grandit. C’est indispensable pour avoir des produits et des services technologiques Made in Africa qui apportent des solutions aux citoyennes et citoyens africains, et créent l’emploi dont le continent a besoin.
Dans l’accompagnement que vous apportez aux startups africaines, vous privilégiez l’investissement en lieu et place de dons. Comment pouvez-vous expliquer cette orientation ?
Les dons ne sont malheureusement pas pérennes. Une fois qu’une enveloppe de dons est épuisée, le financement doit se terminer, le porteur doit trouver un autre donneur. Il passe trop souvent beaucoup plus de temps à trouver cette ressource qu’à s’occuper de son projet.
En tant que nouvelle filiale du groupe AFD, notre vision est de passer d’une logique de dons ou d’aides à une logique de « Aid for trade ».
Nous voulons faire en sorte que le don et la subvention soient des coups de pouce pour rendre des activités pérennes, de remplacer la dépendance par de l’auto-suffisance.
En investissant dès l’amorçage des projets à fort potentiel, Digital Africa propose de faire un effet de levier pour d’autres acteurs, en particulier du secteur privé. Nous comptons sur la future croissance de ces startups à fort potentiel pour mieux céder la place à ces investisseurs. Nous visons le cycle vertueux qui permet de réinvestir les revenus ou les remboursements de ces premiers investissements dans d’autres startups. Notre objectif est de contribuer ainsi à soutenir une économie numérique « Made in Africa » plus prospère.
Lors de l’événement Lionstech Invest qui s’est tenu à Dakar, la Startup Neolean a bénéficié du premier ticket Fuzé. Qu’est ce qui a été déterminant dans le choix du lauréat ?
Nous connaissons bien le secteur de l’edtech en Afrique puisqu’à travers notre programme Talent4startups (https://talent.digital-africa.co/) lancé l’an dernier, nous travaillons déjà avec les meilleures start-ups du secteur de l’éducation pour former et placer des centaines de talents africains dans des emplois d’avenir.
Neolean présente une nouvelle approche dans la certification des talents en les exposant à des opportunités de jobs en freelance au cours de leur formation. C’est un pari audacieux et nous leur souhaitons beaucoup de réussite dans le développement de leur produit. Nous sommes convaincus du potentiel de marché et nous avons été séduits par l’équipe fondatrice, expérimentée sur ces métiers, multiculturelle, avec à sa tête, une femme. Enfin, Neolean a été recommandée par la Délégation pour l’Entrepreneuriat Rapide au Sénégal (DER), avec qui nous travaillons étroitement pour le suivi des start-ups sur place.
Que préconisez-vous pour l’éclosion des startups africaines dans un monde en perpétuelle mutation ?
C’est d’abord la loi des grands nombres. Il faut beaucoup de startups pour permettre la réussite d’une poignée. Les entrepreneurs sont conscients de cette loi probabiliste. Notre mission est d’encourager leurs essais, de dédramatiser les éventuels échecs, de favoriser l’apprentissage et le partage d’information entre pairs pour avoir des produits toujours plus qualitatifs. En tant que plateforme, nous facilitons l’accès au financement pour les entrepreneurs mais également encourageons leur formation, leur capacité à recruter des talents, avec une approche orientée sur la donnée. En capitalisant sur les connaissances et sur les communautés, nous voulons faire en sorte que plus d’essais soient transformés en succès. Voilà notre engagement pour encourager l’éclosion des champions numériques africains.
AC/APA