L’éducation est l’approche la plus efficace pour aboutir à l’abandon de l’excision dans certaines sociétés africaines, a indiqué dans une interview avec APA, le sociologue sénégalais Djiby Diakhaté.
Comment expliquez-vous la survivance de l’excision en Afrique ?
L’excision s’est ancrée dans des valeurs culturelles très fortes et des représentations qui déterminent les comportements. Lorsqu’on se réfère à la mythologie dogon, on se rend compte qu’au départ, il n’y avait pas de distinction entre l’homme et la femme. Il y avait un seul individu qui était à la fois le mâle et la femelle.
Après que cet individu a commis un pêché, le dieu Amma l’a éjecté du paradis pour l’amener sur terre. C’est à ce moment-là qu’il s’est séparé en deux. Puisque c’est comme ça, on considère qu’il y a une partie femelle et une partie mâle dans chaque individu. Par la circoncision, on enlève à l’homme sa partie féminine, et par l’excision on enlève à la femme sa partie masculine.
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Pour les exciseuses, tant qu’une fille n’est pas excisée, elle n’en est pas totalement une. Il y a une part de masculinité en elle. Pour les Bambara, un individu de ce genre est incomplet. On l’appelle le bilaporo. Un individu qui a des souillures. Par conséquent, il ne peut pas faire la cuisine, prendre la parole en public ou encore se marier.
On a un certain nombre de représentations culturelles, cosmogoniques qui déterminent la pratique de l’excision. Certains vont dire que c’est pour que la fille soit chaste jusqu’au mariage. Mais on pense que tant que cette opération n’est pas faite, l’individu n’a pas une appartenance sexuelle précise.
Quelle est la bonne approche pour en finir avec l’excision en Afrique ?
L’approche la plus efficace, c’est l’éducation des populations. Il faut nécessairement que des acteurs de la communauté, et non ceux de l’extérieur, puissent les convaincre de la nécessité d’abandonner de telles pratiques.
Ce sont par exemple les religieux, les chefs coutumiers issus de la communauté. Ces derniers peuvent servir de relais auprès de la communauté. Malheureusement, les méthodes jusque-là utilisées par les ONG et les Etats consistent à faire appel à des personnes externes à la communauté pour parler de ce problème. Les gens peuvent écouter mais le message ne passe pas. Pour avoir plus d’impact, il faut que le message soit porté par des personnes ayant une certaine légitimité au niveau local.
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Il faut aussi offrir des alternatives matérielles et immatérielles aux exciseuses qui abandonnent cette activité. L’alternative matérielle, c’est l’insertion socioprofessionnelle. Et pour celle immatérielle, il faut faire comprendre aux populations que leurs représentations ne sont pas fondées.
En outre, il faut opposer cette tradition culturelle à l’Islam parce que la plupart des communautés qui excisent, sont musulmanes. On doit démontrer qu’on peut être une bonne musulmane sans cette mutilation.
Pourquoi la pénalisation de l’excision n’est pas dissuasive ?
Dans plusieurs pays africains, il existe une loi qui pénalise l’excision et les mutilations génitales féminines. Mais il me semble que ces lois ont davantage compliqué la situation. Les gens sont maintenant obligés de faire cette opération dans la clandestinité. C’est-à-dire dans le non-respect des principes cliniques les plus élémentaires. Et cela conduit souvent à des infections.
Au fond, cela veut dire qu’on a légiféré sans travailler, au préalable, sur l’éducation, la sensibilisation et l’accompagnement des populations. De plus, certaines Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont cru que les exciseuses avaient délaissé cette pratique après leurs sensibilisations. Mais le problème ne se situe pas seulement à ce niveau. L’excision est une activité génératrice de revenus pour elles. On leur a fait abandonner leur travail sans leur proposer des alternatives.
Il y a des parents qui pensent que leurs filles doivent se faire exciser y compris en milieu urbain. Il faut comprendre que ce n’est pas seulement une pratique rurale. Des immigrés quittent même des pays occidentaux pour faire exciser leurs enfants.
Les gens doivent comprendre que les personnes favorables à l’excision, l’expliquent par des raisons métaphysiques. Si on ne comprend pas cela, les arguments médicaux ne pourront pas être acceptés.
Ceux qui fument de la cigarette savent qu’elle tue mais ils continuent. Certaines sociétés savent que l’excision présente des dangers mais elles continuent à la pratiquer. C’est parce qu’elles sont convaincues qu’en cessant cette activité, elles mettront en péril leur existence.
Il faut comprendre cela et travailler à mettre en place des supports de communication de masse qui tiennent compte de réalités et convictions des gens sans les heurter, sans les bouleverser.
OKF/id/te/APA