Ces sociétés prélèvent du poisson propre à la consommation humaine en Afrique de l’Ouest pour alimenter la demande de farine et d’huile de poisson dans l’Union européenne et en Norvège selon un nouveau rapport de l’ONG Greenpeace et Changing markets, parvenu à APA.
Le nom du rapport : « Nourrir un monstre : Comment les industries européennes de l’aquaculture et de l’alimentation animale volent la nourriture des communautés d’Afrique de l’Ouest », en dit long sur l’ampleur des dégâts.
En effet, selon les conclusions du document, « plus d’un demi-million de tonnes de petits poissons pélagiques sont extraits chaque année le long des côtes d’Afrique de l’Ouest et transformés en aliments pour l’aquaculture et l’agriculture, en compléments alimentaires, en cosmétiques et en produits alimentaires pour animaux de compagnie hors du continent africain. »
Le rapport est basé sur une recherche du commerce et de la chaîne d’approvisionnement entre l’industrie de la farine et de l’huile de poisson (FHP) en Afrique de l’Ouest et le marché européen. Il met en cause des négociants, des entreprises d’aquaculture et d’agroalimentaire de plusieurs pays européens dont la France.
Selon le responsable des campagnes de Changing Markets, Alice Delemare Tangpuori, cité par le rapport, « les exportations de farine et d’huile de poisson vers l’Europe détournent les moyens de subsistance des communautés côtières, en privant les populations d’une importante source de nourriture et d’un moyen de revenu. »
Partant de ce constat, elle estime qu’il « est temps de repenser les chaînes d’approvisionnement et de supprimer rapidement l’utilisation de poissons sauvages dans la nourriture des poissons d’élevage et d’autres animaux, afin de préserver ces populations de poissons sauvages pour les générations futures. »
« Priver des millions de populations d’Afrique de l’Ouest de la source de protéines la plus fondamentale pour nourrir les animaux ou produire des compléments alimentaires, des cosmétiques et des produits alimentaires pour animaux de compagnie est une pratique honteuse et un mépris flagrant des lois locales et internationales », a déclaré le responsable de campagne à Greenpeace Afrique, Dr Ibrahima Cissé, cité également par le rapport.
Pour Ibrahim Cissé, « le poisson propre à la consommation humaine ne devrait pas et ne doit plus jamais être volé aux communautés d’Afrique de l’Ouest pour répondre aux besoins d’autres pays. Nos gouvernements doivent agir rapidement pour mettre un terme à cette situation. »
Les auteurs du rapport affirment que leurs recherches confirment une expansion rapide de la FHP au cours des dernières années, notamment en Mauritanie, où 70% des exportations d’huile de poisson étaient destinées à l’UE en 2019.
Selon eux, les gouvernements de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie ne parviennent pas, à ce jour, à gérer correctement leur ressource commune de petits poissons pélagiques, ni à prendre les mesures appropriées pour garantir le droit à l’alimentation et aux moyens de subsistance des communautés impactées.
« En saison froide au Sénégal, il est très difficile, voire impossible, de trouver des sardinelles aux points de débarquement habituels. Les conséquences sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations locales sont catastrophiques, ainsi que sur l’équilibre de la chaîne alimentaire en mer », fait remarquer l’ancien directeur de recherche et directeur du Centre de recherche océanographique de Dakar-Thiaroye au Sénégal, Dr Alassane Samba.
Président de la FLPA (Fédération Libre de Pêche Artisanale), section de Nouadhibou, en Mauritanie, Harouna Ismail Lebaye, hausse le ton dans le rapport et déclare : « Vos investissements nous privent de nos ressources halieutiques, vos investissements nous affament, vos investissements menacent notre stabilité, vos usines nous rendent malades (…). Il est temps de mettre un terme à tout cela. »
ARD/cgd/APA