Kader Abdelrahim, spécialiste de l’Algérie et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) analyse pour APA les enjeux de l’élection présidentielle algérienne de ce 12 décembre 2019. Cet entretien initialement diffusé le 07 novembre est remis en ligne aujourd’hui en raison de sa pertinence.
Le 02 novembre, l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) a finalement retenu sur 22 postulants sélectionnés à partir du système des parrainages des électeurs les noms d’Ali Benflis (75 ans), Abdelmadjid Tebboune (73 ans), Azzedine Mihoubi (60 ans), Abdelkader Bengrina (57 ans) et Abdelaziz Belaïd (56 ans).
Ces personnalités ne sont pas inconnues du bataillon politique algérien, comptables plus ou moins du bilan de près de 20 ans de Bouteflika, parti en avril du pouvoir sur chaise roulante, affaibli depuis quelques années par un AVC.
Son projet de 5è mandat soutenu par ses proches collaborateurs s’est finalement heurté à la résistance du peuple algérien, à travers des manifestations pacifiques hebdomadaires.
Les profils des candidats retenus ne semblent pas répondre aux aspirations des manifestants qui réclament le départ des dignitaires et caciques du défunt régime et le renouvèlement de la classe politique.
« Pas de favori, aucun chouchou »
En effet Benflis et Tebboune sont deux anciens Premier ministres, même si le premier se présente depuis quinze ans comme le principal opposant de Bouteflika. Le second se définit pour sa part comme candidat « indépendant ».
Azzedine Mihoubi fut ministre de la Culture jusqu’en mars 2019, mais n’a pas été collègue de gouvernement d’Abdelkader Bengrina lorsque ce dernier assurait le portefeuille du Tourisme (1997-1999). Ce dernier bénéficie dans sa candidature du soutien de la coalition islamiste, dont l’un des députés a été élu en septembre à la présidence de l’Assemblée populaire nationale.
Enfin, Abdelaziz Belaïd n’a pas été certes membre d’un gouvernement de Bouteflika, mais le benjamin des candidats est néanmoins un dirigeant d’un parti peu représentatif (le Front El Moustakbel) qui a eu à soutenir l’action du défunt pouvoir.
Mais parmi ces cinq qui incarnerait le renouveau tel qu’exigé par le mouvement de contestation ? Kader Abdelrahim, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Maghreb et de l’Islamisme est catégorique : « Aucun ! C’est très clair… ».
Cependant, « le seul candidat à propos duquel il faudrait peut-être que je nuance ma réponse, c’est Ali Benflis. Il était une fois Premier ministre et deux fois candidat à l’élection présidentielle. Il a carrément rompu avec le président sortant Bouteflika. C’est le seul qui aurait pu éventuellement jouer un rôle par rapport aux manifestations que l’on voit depuis presque neuf mois en Algérie ».
« Mais dès l’instant qu’il s’est porté candidat, et puis il a été chahuté dans la banlieue d’Alger samedi dernier, c’est quand même de très mauvais augure », a poursuivi M. Abdelrahim, auteur du livre « Géopolitique de l’Etat islamique » paru lundi dernier dans les éditions Eyrolles.
Toutefois, souligne-t-il, les candidats partent à chances égales vu le cas de figure qui montre « une compétition à peu près équitable » entre eux. En plus, ils ne « représentent pas un danger pour le régime politique » qui s’accommodera « très bien » avec le prochain chef d’Etat.
Cette situation où l’on assiste à un semblant de divorce entre les politiques et la population n’est pas qu’algérienne ou arabe, selon le chercheur, par ailleurs maître de conférences à SciencesPo de Paris. Elle traverse même le continent africain au regard « des manifestations dans tout le monde arabe (Liban, Yémen,) ».
C’est la conséquence du « rejet profond du personnel politique par des citoyens qui estiment qu’il faut en finir avec la corruption devenue endémique et avec la nature des régimes politiques qui se sont installés depuis les indépendances et qui ont fait la preuve de leur incompétence, de leur inconsistance », analyse Kader Abdelrahim.
ODL/Dng/te/APA