Surprise ! Un ancien Premier ministre de Bouteflika, qui n’a ni parti ni popularité ni soutiens officiels, est proclamé 11ème Président de la jeune république algérienne. Récit de cette nuit du douzdouz, où tout s’est joué, et des réactions violentes qui vont suivre. Une chronique exclusive pour APA du célèbre journaliste et écrivain algérien Chawki Amari.
Alors que tout était une forte abstention et tout allait vers des résultats plus ou moins équivalents pour les 5 candidats avec une victoire du candidat du consensus, Azzedine Mihoubi, c’est Abdelmadjid Tebboune, qui est élu au premier tour, avec 58,15% des voix.
Naturellement, la nuit la plus longue est le 21 décembre, équinoxe d’hiver du à l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre. Mais tout le monde le sait, la planète bleue a déjà tourné au rouge et elle ne tourne plus bien rond, à cause entre autres du dérèglement climatique. A Alger, un peu en avance cette année sur les contestations mondiales, la nuit la plus longue fut celle du 12 au 13 décembre, pas vraiment froide mais avec des rafales de vents tournantes.
19h
Heure officielle de fermeture des bureaux de vote. De l’avis général, des sondeurs, observateurs, militants de partis et coiffeurs assermentés, la participation est faible, entre 10 et 20%, semblable à celle des Algériens de l’étranger, annoncée officiellement à moins de 10%. « On ne les aime pas vraiment parce qu’ils sont censés vivre mieux que nous », explique un mécanicien d’Alger qui attendait le second tour pour voter, « mais ce sont quand même des Algériens. » En effet, il est plus difficile de truquer un scrutin à l’étranger qu’ici. En Algérie, peu de votants, des manifestations permanentes, qui ont, le soir même du vote, nuit tombée, dégénéré en affrontements directs avec les forces de sécurité à Alger.
20h
Tout le monde attend le taux de participation officiel, en général donné toutes les deux heures par les officiels et le soir même du scrutin. A 17h, il était annoncé à 20%. On commence à sentir l’entourloupe. Pourtant, l’ANIE, Autorité nationale et indépendante des élections, mise en place pour sécuriser le scrutin, explique l’impossibilité de la fraude « grâce à des nouveaux moyens informatiques » selon son directeur Mohamed Chorfi, ancien ministre de la justice de Bouteflika. Il a donné, verbalement, toutes les garanties, mais son Autorité est essentiellement composée d’apparatchiks du sérail qui préfèrent le poste aux postures. De quoi douter de l’Intelligence Artificielle, du futur numérique et de la validité du scrutin, les Algérien(ne)s aimant les traditions, la vérité et le soleil du jour.
21h
Le calme revient à Alger, chacun est rentré chez lui en attendant les résultats officiels. Des mouvements de véhicules noirs sont visibles, une effervescence inhabituelle et des rumeurs contradictoires. La participation aux élections est annoncée à 39%, soit 10 millions de votants sur 24. Le doute s’installe. Les Algérie(ne)s aiment les rumeurs et dormir la nuit.
Minuit
Il était le favori du régime, mais vieillissant, âgé de 71 ans, directement impliqué dans la gestion Bouteflika dont il a été ministre et même Premier ministre, il est surtout empêtré dans une histoire de cocaïne. Son propre fils, lié à l’importation d’énormes quantités de drogue mélangées dans des containers de drogue dure à destination de l’armée, 10 milliards de dollars par an de budget, le seul en hausse encore cette année, a été mis en prison, puis relâché sous conditionnelle, et régulièrement entendu par la justice. Une affaire toujours pas réglée, qui empoisonne son profil et le fait passer pour un mafieux.
Le Général Gaïd Salah se réunit sur les hauteurs d’Alger avec le ministre de l’intérieur, Nourredine Bedoui, qui roulait pour Mihoubi, en compagnie d’autres convives importants dans le dispositif. La nuit sera longue, le FLN et le RND, partis conservateurs et nationalistes au pouvoir, assistés des organisations satellites, ont tous appelé à voter Azzedine Mihoubi, plus jeune, moins marqué par l’ère Bouteflika, poète mais d’une soumission totale à la puissance dominante. C’est pendant ces quelques heures que le destin bascule.
8h
C’est vendredi, jour férié de repos hebdomadaire, équivalent du dimanche chez les Chrétiens mais point d’achoppement avec les Musulmans : » Dieu a créé la Terre en 6 jours et s’est reposé le 7ème, c’est-à-dire le dimanche ? » s’interroge une infirmière partisane de Gaïd Salah, « ce n’est donc pas un Dieu s’il doit se reposer. » Pour l’élection algérienne, il n’y a eu effectivement aucun repos et le Général Gaïd Salah n’a pas dormi. Mais il a pris sa décision et a convaincu les autres.
9h
On est déjà le 13/12 et le « douzdouz » est derrière, ce jour est le lendemain du vote, un vendredi 13. L’APS, agence officielle, annonce étrangement des résultats pour l’élection dans une semaine, précisant que le deuxième tour aura lieu entre la fin décembre et le début janvier. Pourtant, des fuites annoncent Abdelmadjid Tebboune Président, au premier tour.
10h
Alors que l’Algérie Presse Service (service public) ne donne toujours rien, pas même la tenue d’une conférence de presse ou de résultats préliminaires, quelques médias non officiels sur internet annoncent une conférence de presse à 11h du président de l’ANIE, l’autorité de surveillance des élections.
11h
L’agence officielle ne publie toujours rien, mais à 11h et quelques, Mohamed Chorfi, directeur de l’ANIE, annonce d’une voix froide la victoire de Abdelmadjid Tebboune, au premier tour, à 58,15%. C’est l’étonnement, pas même de 2ème tour. Dialogue rapide dans un café abasourdi, « le 2ème tour n’est pas dans nos traditions », ce à quoi lui répond un opposant, très déçu ; « Les élections ne sont pas dans nos traditions. »
Débat sur l’Algérie profonde, « ils ont voté Tebboune », même si personne ne l’apprécie au fond, ce à quoi on répond que non, « la profondeur n’est pas la stupidité », le trucage semble évident, malgré les promesses et presque un an de Hirak.
Midi
L’islamiste Bengrina serait en tête et aurait faussé le scrutin et provoqué la décision de le changer. Ce à quoi on répond qu’il n’a aucune chance, l’Algérie, bien que traditionaliste et plus ou moins religieuse, est vaccinée contre l’islamisme politique. Mais ce qui justifie pour d’autres le trucage en faveur de Tebboune. C’est donc bien un alibi, le même.
13h
Les hélicoptères entament leur survol des grandes villes du Nord, où la population est la plus dense et la plus hostile à ces élections.
14h
C’est la sortie de la grande prière hebdomadaire, heure traditionnelle où les manifestants du matin rencontrent les manifestants de l’après-midi. Pratiquants et non pratiquants fusionnent, occasionnant d’immenses rassemblements contre les élections, des millions, contre le général Gaïd Salah, contre tous ceux qui sont liés de près ou de loin au régime Bouteflika, et pour un état civil, non militaire. Et évidemment contre Tebboune, le nouveau Président.
15h
C’est en tous cas la première fois qu’un Président, soutenu officiellement par le FLN, n’est pas élu. Ce qui signe la fin de ce parti historique et inaugure d’une nouvelle reconfiguration de l’échiquier politique.
Dehors, il y a foule, les manifestants sont très en colère et la police ne sait pas quoi faire. Des affrontements sont à prévoir, à ce moment personne ne sait où tout cela va aller. La promesse pacifiste des manifestants de tout le pays, qui en avait fait un modèle mondial, est en train d’être touchée par une forme nécessaire de la violence, pendant que plusieurs parties, elles aussi partisanes de la méthode de pression douce, sont contaminées par l’idée de Lénine, « la guerre est un accélérateur d’Histoire. » La nuit d’hier a été longue. Pourtant, elle n’a accouché d’aucune lueur de l’aube.
CHA/Dng/te/APA