Les coups d’Etat devenus récurrents en Afrique de l’Ouest ne sont pas la solution aux problèmes des populations, affirme Fatou Jagne Senghor, directrice sortante de l’ONG de promotion de la liberté d’expression et de la liberté d’information Article 19.
Quel est l’état des lieux de la liberté d’expression en Afrique de l’Ouest ?
Ces dernières années, les libertés publiques ont été vraiment éprouvées dans la sous-région à cause des instabilités politiques liées aux élections, à la question sécuritaire au Sahel et particulièrement à la Covid-19. La pandémie du nouveau Coronavirus a éprouvé la liberté d’aller et de venir avec beaucoup de manifestations des populations.
Il y a aussi l’affaiblissement des institutions de régulation surtout dans le secteur des médias, impactant ainsi la liberté d’information et d’expression.
En Guinée et en Côte d’ivoire, il y a eu beaucoup de morts à cause des changements constitutionnels. Il y a eu également des tensions et attaques contre les journalistes et défenseurs des droits humains.
En Afrique de l’Ouest, globalement nous sommes sur une situation très difficile. C’est pourquoi les Etats doivent travailler avec les acteurs de la société civile pour une Afrique forte. Quand on étouffe la liberté d’expression, il y aura toujours des soulèvements de la population et des tensions inutiles.
Les restrictions de l’espace civique ont été exacerbées par la Covid-19 car, nos Etats n’ont pas beaucoup de moyens pour soutenir les populations. Des règles ont été prises imposant des restrictions et les populations se sont soulevées.
Beaucoup de progrès sont cependant notés, avec des ouvertures démocratiques dans certains pays pour renforcer la démocratie. C’est le cas du Ghana qui a élaboré une loi sur l’accès à l’information. Au Sénégal, cette loi est en cours d’élaboration.
Les coups d’Etat font floraison dans la sous-région. Quel est leur impact sur la liberté d’expression ?
Quand on parle de coup d’Etat, c’est une prise du pouvoir par la force et qui ne résulte pas du choix des citoyens. Le droit de choisir ses dirigeants, c’est une liberté fondamentale. Donc le coup d’Etat viole la liberté d’expression.
Les auteurs des coups d’Etat imposent des restrictions indues. Au Mali, un chercheur qui donne son opinion est inquiétée. On commence à persécuter et interdire aux gens de donner leur opinion si elle est contraire au bon vouloir des dirigeants.
Les régimes militaires issus des coups d’Etat rétrécissent la démocratie et on y note des abus. Ils imposent des agendas pas raisonnables, créant une crise qui fait souffrir les populations.
Les régimes militaires ne sont pas la solution. Ce qu’il faut faire, c’est d’aligner les comportements des dirigeants aux promesses faites aux populations.
Les régimes militaires doivent être de transition courte et en Afrique de l’Ouest, on ne doit pas encourager leur retour. On sait tous ce qui s’est passé en Gambie au Ghana et au Nigeria avec beaucoup d’atrocités.
En Afrique de l’Ouest, on s’acheminait vers la stabilité, mais hélas, il le retour des régimes militaires.
Il faut que la Cedeao et l’UA jouent le jeu. On ne peut pas faire deux poids deux mesures en bénissant certains coups d’Etats et en les bannissant les autres.
En tant qu’actrice de la société civile, quelles attentes avez-vous par rapport à la présidence de Macky Sall de l’Union africaine ?
Le président Sall a beaucoup de priorités, l’Afrique également. Mais au niveau géostratégique, il est important qu’on se recentre sur la sécurité. Les crises liées à la sécurité doivent être résolues car, il faut des espaces protégés et sécurisés pour qu’on puisse se parler entre populations.
Le chef de l’Etat sénégalais a une occasion pour aider l’Afrique à revenir sur l’essentiel et prioriser la jeunesse africaine qui est désœuvrée. Les jeunes sont impatients, mais ils ont des potentialités énormes.
L’UA doit s’activer dans la recherche paix et réévaluer qui nous sommes. Nous avons perdu une bonne partie de qui nous sommes au niveau des institutions africaines à cause des politiques deux poids deux mesures.
Si nous ne sommes pas unis, forts, on va être fragiles et nos pays vont en pâtir.
Priorisons le travail interne avec la jeunesse qui a perdu l’espoir parce que n’ayant pas de travail et d’opportunités. Il faut l’associer dans les politiques de l’UA.
Après plus d’une décennie à la tête d’Article 19, jugez-vous satisfaisant votre bilan ?
Nous avons réussi à bâtir une institution. Article 19 fait partie aujourd’hui des institutions régionales et internationales qui défendent la liberté d’expression des populations et des journalistes. Elle est devenue une institution qui peut rester après mon départ.
Nous avons œuvré dans beaucoup de chantiers au Mali, au Sénégal où nous avons soutenu les victimes de répression et de persécution.
On a institutionnalisé Article 19 et je crois qu’elle restera pérenne. On a plus d’une dizaine d’organisations associées qui travaillent avec nous, une équipe soudée et unie pour relever les défis.
La société civile sénégalaise, la presse, les organisations de femmes ont cru en nous. Cependant, elle fait face à beaucoup de défis dans une Afrique de l’Ouest éprouvée.
Ces défis portent essentiellement sur quoi ?
On reçoit des requêtes de partout, il faut y répondre rapidement, être là pour ceux qui ont besoin de soutien, interagir avec les pouvoirs publics. Cela demande de l’expérience, de la fermeté et du savoir-faire.
Nous devons également travailler pour beaucoup de justice pour les populations et inclure de l’équité dans nos interventions. Il y a beaucoup de chantiers qui attendent l’organisation, mais il faut faire des choix et prioriser les interventions.
Aujourd’hui, le rétrécissement de l’espace civique demande beaucoup d’interventions.
TE/APA