A l’instar des centaines de Nigérians ayant récemment fui les attaques xénophobes en Afrique du Sud, partagés entre la joie d’avoir échappé à la mort et le désespoir d’avoir laissé derrière tous leurs biens, Bisi Aremu n’a que très peu de bons souvenirs de son séjour dans la Nation arc-en-ciel.
La jeune femme qui tenait un salon de manucure et de pédicure à Johannesburg depuis près de cinq ans, a préféré sa vie sauve à son commerce suite aux violences qui ont fait plusieurs morts et des milliers de personnes de déplacées dans les pays voisins, notamment en eSwatini, au Lesotho et au Mozambique.
Mère de trois enfants, Aremu se rappelle, non sans amertume, le train de vie qu’elle menait à Johannesburg avant de tout perdre en quelques jours quand les étrangers sont aussitôt devenus la cible d’une furie xénophobe inédite portée par de jeunes Sud-africains pour la plupart sans emploi.
«Je me suis réveillée un matin et je pensais qu’il n’était plus prudent de rester dans ce pays », a-t-elle confié à l’Agence de Presse Africaine, sur un ton plein de colère et de frustration.
Aremu et les centaines de Nigérians rapatriés volontairement dans leur pays se considèrent comme peu chanceux, pour avoir échappé à la mort.
En racontant le film de leurs derniers jours dans la Nation arc-en-ciel, la plupart des rapatriés estiment que l’Afrique du Sud aurait dû mieux les traiter, au regard de son histoire récente face à l’apartheid qui aurait encore d’autres conséquences si les pays africains n’étaient pas intervenus pour libérer le pays.
Depuis le début des premiers actes de violences xénophobes en Afrique du Sud il y a plus de huit ans, les Nigérians ont souvent subi de nombreux torts. Quelque 118 morts ont été d’ailleurs enregistrés depuis 2016 par les autorités nigérianes.
Outre les pertes en vies humaines, les Nigérians en Afrique du Sud ont subi des préjudices matériels estimés à des dizaines de millions de dollars.
Ces scènes de pillage contre des propriétés de la communauté nigériane sont pour la plupart causés par des gangs locaux, en particulier dans les quartiers de Johannesburg.
Partagés entre désespoir et confusion, ces Nigérians rapatriés ont amèrement fustigé la quasi-impunité face à des attaques xénophobes contre leurs maisons et leurs entreprises.
A l’instar de Chuks Okoma, qui a vécu en Afrique du Sud pendant six ans, les rapatriés disent avoir échappé de justesse à la mort, d’où leur retour volontaire dans leur pays natal.
« Pendant mon séjour en Afrique du Sud, je n’avais ni travail, ni domicile. J’étais un sans-abri, alors, que faire là-bas quand on a une famille au Nigeria ? », s’interroge-t-il
« Les membres de gangs sud-africains sont impliqués dans le commerce de drogue, en concurrence avec d’autres étrangers. Parfois, ils mènent la vie dure aux étrangers. Et la police est là, atone et muette ne fait que regarder, heureuse de la situation. Pour moi, c’était fini de voir cela », at-il ajouté.
D’autres rapatriés comme Anoze Uchenbi peinent même à raconter les peines qu’ils ont vécues en Afrique du Sud non sans regretter les scènes de représailles contre les commerces sud-africains au Nigeria, ciblant notamment les centres commerciaux Shoprite.
Pour Uchenbi, la mainmise des étrangers sur plusieurs secteurs d’activités a fini par installer une certaine jalousie au point de susciter ces attaques contre les Nigérians en Afrique du Sud où les autochtones « n’ont aucune autre option idée de faire face à la concurrence que par la violence ».
« Ils (les Sud-Africains) ont fait preuve d’une hostilité absurde », a lancé à APA ce jeune Nigérian qui a dû laissé son fils unique avec sa femme mariée sur place au cours de ses 12 ans de séjour en Afrique du Sud.
Tout comme Uchenbi, Juwon Sadiku, un homme d’affaires revenu récemment d’Afrique du Sud suite aux violences, regrette avoir séjourné dans ce pays.
« Nous l’avons échappé belle. C’était terrible. Ces criminels font des perquisitions de maison en maison à la recherche de Nigérians, sous le regard de la police de Pretoria », a-t-il martelé, ajoutant amèrement que l’apartheid sévit encore dans la Nation arc-en-ciel.
Parmi les Nigérians qui regrettent s’être établis en Afrique du Sud, figure également Rose Uwadiae, originaire de l’État d’Edo.
Après six ans vécu à Pretoria, cette mère de deux enfants issus de son mariage avec un Sud-Africain, s’étonne qu’elle ne soit épargnée.
« Même mes enfants et moi avons été la cible de harcèlements souvent violents », a-t-elle lancé, la colère à la gorge.
« J’ai dû faire une déclaration sous serment pour renier à mes droits de maternité avant de pouvoir quitter cet enfer sud-africain « , a-t-elle ajouté, visiblement sous le choc de cette séparation soudaine avec ses enfants.
Rose dirigeait une entreprise florissante, spécialisée dans la vente de vêtements nigérians «Adire».
« J’étais obligée d’offrir quelques vêtements à des policiers pour les soudoyer sans raison. Mon magasin a été pillé à plusieurs reprises. C’était ma vie qui était en danger, alors je devais partir ’’, a-t-elle lancé.
Ces attaques xénophobes ne peuvent être plus inopportunes pendant que les chefs d’état africaines murissent le projet d’une zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA).
« J’ai mes doutes sur un marché unique qui permette la libre circulation des personnes et des biens. Comment ce projet fonctionnera-t-il en Afrique du Sud ou encore au Ghana où, dans de nombreux cas, des magasins appartenant à des Nigérians sont saisis sans aucune raison?, se demande Chris Ndibe, consultant sur la zone franche économique,
Selon lui, l’accord de libre-échange semble toujours une mascarade alors qu’il a été conclu le 7 juillet dernier à Niamey, la capitale nigérienne, en marge du Sommet de l’Union Africaine.
« Les attaques xénophobes en Afrique du Sud durent depuis plus de deux semaines et nous ne voyons aucune action concrète de l’Union africaine (UA), principal moteur de l’AfCFTA. C’est le début de l’échec du projet d’unité africaine dont nous parlons si régulièrement ’’ at-il confié à APA.
Pour rappel, un premier groupe de 188 Nigérians est arrivé à Lagos le 12 septembre dernier en provenance d’Afrique du Sud. Cinq jours plus tard, un autre groupe de 315 a été accueilli à l’aéroport international Murtala Muhammed de Lagos.
D’autres Nigérians attendent encore d’être évacués après avoir volontairement manifesté leur intérêt de retourner au bercail pour fuir les vagues de violence anti-immigrés dans les villes de Pretoria et Johannesburg.
NM/AS/DNG/te/APA