Kaïs Saïed, candidat indépendant à la présidentielle tunisienne, est annoncé vainqueur du second tour par les instituts de sondage Sigma et Emrhod qui le créditent respectivement de 76,9 % et 72,5 % des suffrages valablement exprimés. Dans un entretien exclusif accordé à APA, Seidik Abba, journaliste, écrivain et ancien rédacteur en chef central de l’hebdomadaire Jeune Afrique, décrypte ce fait politique majeur.
Quelles leçons tirer de l’élection annoncée de Kaïs Saïed à la tête de la Tunisie ?
« La victoire de Kaïs Saïed consacre la mort du système politique tel qu’il a été conçu et pratiqué en Tunisie. Jusqu’ici, les partis politiques traditionnels remportaient les élections. Mais la perte de foi dans les partis traditionnels fait que les candidats indépendants ont connu des percées significatives aux différents scrutins organisés depuis la révolution en 2011. Les partis traditionnels, que ça soit Ennahda ou encore Nidaa Tounes, n’ont pas apporté les changements espérés par les citoyens. Aujourd’hui, les gens veulent un autre changement. Pour les Tunisiens, celui-ci ne peut venir que de personnes qui n’appartiennent pas au système. Et Kaïs Saïed a capitalisé sur ça en disant qu’une fois élu, il aura les mains libres pour réformer le pays puisqu’il n’appartient à aucun parti politique ».
Peut-t-il redresser la situation du pays, en s’attaquant notamment à l’économie ?
« Il aura les mains libres pour mener des réformes. Car il ne doit rien à une formation politique, à une coalition de partis, aux grands lobbies économiques, aux syndicalistes et à la société civile. Kaïs Saïed n’a pas noué d’alliances pour être élu. Par contre, au plan économique, il lui faudra négocier et rassurer les investisseurs. L’économie de la Tunisie dépend fortement des services. Sa légitimité, puisqu’il a gagné la présidentielle avec plus 70% des suffrages, pourrait l’aider à redynamiser l’économie tunisienne durement éprouvée par la situation sécuritaire. Il faudra donc s’appuyer sur le tourisme et le succès de cette politique passe par la sécurisation accrue du pays ».
Huit ans après la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali, la Tunisie semble toujours chercher sa voie. Qu’est-ce qui l’explique ?
« La Tunisie est le seul pays du » Printemps arabe » qui a survécu à sa révolution. En Egypte, elle a permis aux Frères musulmans de conquérir le pouvoir mais le maréchal Abdel Fattah al-Sissi a fait un coup d’Etat. En Lybie, c’est le chaos total. La Tunisie a quand même réussi à organiser des élections démocratiques. Elle n’a pas vécu de guerre civile ou de violences à grande échelle. Quand on sort d’une révolution comme celle de Jasmin où tout a été bouleversé, c’est clair que le chemin peut être long pour se reconstruire. Mais la Tunisie est sur la bonne voie. On peut dire que le bilan de l’expérience démocratique post-révolution est positif même s’il reste beaucoup à faire sur le plan économique. La démocratie a progressé, la presse est libre et les citoyens ne se cachent plus pour parler de ce qui se passe dans leur pays. On n’efface pas une quarantaine d’années de dictature, de monopartisme en 8 ans. Il est normal qu’il y ait de l’impatience mais je pense que le pays est sur la bonne voie. La Tunisie ira à son rythme et à la fin peut être que son expérience démocratique va inspirer d’autres pays africains ».
ID/Dng/APA