Le sixième Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique s’est ouvert lundi 18 novembre en présence notamment des présidents sénégalais Macky Sall et mauritanien Mohamed Ould Ghazouani ainsi que du premier ministre français Edouard Philippe. Une occasion pour des spécialistes de faire un état des lieux de la situation au Sahel.
Comme dans toute rencontre du genre, on va beaucoup gloser durant le Forum pour la paix et la sécurité en Afrique qui s’est ouvert ce lundi 18 novembre à Diamnadio, près de Dakar, la capitale sénégalaise. On va aussi beaucoup multiplier les apartés, échanger les cartes de visites et pourquoi pas, pour certains, négocier quelques belles affaires.
Le forum co-organisé par les gouvernements sénégalais et français aura aussi ses moments studieux, sérieux et même graves, quand les centaines d’invités se partageront alors entre les différents amphithéâtres et salles d’ateliers du majestueux centre des conférence Abdou Diouf pour débattre de “L’Afrique face aux défis actuels du multilatéralisme”, le thème officiel de la rencontre. Un intitulé trop docte pour le grand public mais qui ne doit pas tromper.
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Cette sixième édition de ce colloque devenu au fil des ans le grand-rendez-vous annuel du mini-monde de la paix et de la guerre en Afrique, sera surtout consacrée à la situation au Sahel. Une région où, malgré l’engagement sur le terrain depuis janvier 2013 de milliers de soldates français, onusiens et africains, les groupes jihadistes résistent, se renforcent et se répandent. “Compte tenu des développements sur le terrain, on ne peut ignorer ce qui se passe actuellement dans les pays sahéliens. Plusieurs ateliers sont d’ailleurs consacrés aux différents aspects de la crise qui sévit dans la région”, justifie le Colonel Edouard Mbengue, un des chargés de communication du Forum qui promet « des recommandations fortes destinées aux Etats concernés et leurs partenaires étrangers impliqués dans lutte contre les groupes jihadistes ».
Depuis l’intervention française Serval contre les groupes jihadistes liés à Al Qaida qui avaient pris au printemps 2012 le contrôle du nord du Mali, un territoire grand comme deux fois la France, plusieurs milliers de soldats étrangers tentent de traquer les islamistes armés dans tout le Sahel. Avec 4500 soldats de l’opération Barkhane qui a pris à partir d’août 2014 le relais de Serval et qui englobe le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, la France est en tête de ce dispositif militaire. Théoriquement, elle est soutenue par près de 14000 soldats d’une force de maintien de la paix onusienne (Minusma) et plusieurs bataillons locaux organisés dans un G5 Sahel alimenté par les pays du champ.
Si plus aucune ville du désert malien ou ailleurs n’est désormais sous le contrôle des islamistes, ces derniers n’ont pas pour autant été vaincus. Au contraire. Ils ont essaimé bien au delà de leurs bases historiques qui étaient limitées au seul septentrion malien. Après Bamako, la capitale, frappé par des attentats plusieurs fois en 2015 et 2018, puis le centre du pays devenu depuis 2014 un foyer majeur d’affrontements très meurtriers impliquant les jihadistes, le Mali n’arrête pas de compter les attaques islamistes. Avec des actions sporadiques mais souvent très sanglantes, les combattants islamistes sont présents au Niger. Au Burkina où après des attentats violents dans la capitale, Ouagadougou, en 2016, 2017 et 2018, une bonne partie du nord du pays vit au rythme d’opérations jihadistes au point que ce pays est en passe de devenir l’épicentre de la violence islamiste dans le Sahel.
Le Forum de Dakar sera-t-il donc le lieu d’une mise à plat des dispositifs jusqu’ici appliqués sur le terrain que réclament une grande partie des opinions et observateurs de la région?
“Ce serait une très bonne chose que cela soit la cas. Ce forum intervient à point nommé pour qu’enfin soit établi le bilan des approches appliquées”, insiste Ibrahim Yahaya, chercheur à l’International Crisis group (ICG) et participant au forum.
Pour lui, les solutions à dominante militaire actuellement en vigueur au Sahel posent problème, même lorsqu’elles sont accompagnées par des initiatives destinées aux populations locales comme les actions civilo-militaires incarnées par la construction de routes, puits et écoles. « Ce genre d’approches a montré ses limites. Cette guerre ne peut pas être gagnée par le seul usage de la force fût-il accompagné par des actions de développement . C’est tellement manifeste aujourd’hui qu’il il y’ a un large consensus là-dessus chez les observateurs et experts honnêtes qui s’intéressent à la situation sur le terrain”, plaide le chercheur.
L’auteur de “Parler aux jihadistes au centre du Mali : le dialogue est-il possible ?” , un rapport très médiatisé publié en mai dernier par l’ONG internationale, défend ouvertement l’idée d’un dialogue politique qui inclut tous les acteurs, y compris les groupes armés islamistes.
“ Le problème est d’abord politique, explique t-il. Il faut donc une démarche politique. Elle passe forcément par le dialogue et celui-ci ne peut être crédible que s’il inclut tous les acteurs dont bien entendu les jihadistes. Qu’on le veuille ou pas, ces groupes jihadistes sont un élément clé du problème sahélien. On ne peut pas les exclure et espérer voir le cycle de violences qui s’amplifie en ce moment s’arrêter”, argumente le chercheur.
L’une des craintes d’un grand nombre d’analyste est que la menace atteigne des zones éloignés du Sahel. Une région inquiète particulièrement les experts: les pays du Golfe de Guinée voisin.
« C’est fort probablement la prochaine région ciblée. L’hypothèse est très sérieuse depuis qu’en mars 2016 une attaque a visé un complexe touristique à Grand Bassam, près d’Abidjan. L’enlèvement le 30 avril dernier de deux touristes français finalement libérés par un commando français dans le parc de Pendjari dans le nord du Bénin confirme cela”, explique Abdelhak Bassou chercheur senior au Policy center of the New South (Ex Ocp Policy Center), un think tank à vocation panafricaine basé à Rabat, au Maroc.
Pour ce réputé spécialiste marocain du jihadiste, tous les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest sont aujourd’hui à surveiller. “Du littoral sénégalais aux pays du Golfe de Guinée, il faudrait renforcer la vigilance » met en garde l’expert.
Pour lui cette région abrite des pays qui ne sont pas habitués aux attentats terroristes, “ ce qui les rend aux yeux des jihadistes une cible idéale puisqu’ils sont susceptibles d’être attaqués par surprise » explique t-il.
Selon le Marocain, on ne le dit pas souvent: cette région constitue une cible éminemment stratégique pour ces groupes en raison de leur position sur la mer. “Peu importe que les populations ne soient pas entièrement ou majoritairement musulmanes, précise -il.
D’après lui, Les jihadistes ont toujours cherché à contrôler les voies de communications stratégiques là ils où ils arrivent à s’installer.
“En Afrique de l’Est avec les Shebabs somaliens, le contrôle des voies d’accès à la Mer rouge a toujours été un de leurs objectifs. En Afrique du Nord, les groupes qui se réclament du jihadisme ont déjà montré leur volonté de contrôler ou essayer de prendre possession d’une partie des côtes libyennes. En parvenant au Golfe de Guinée, les jihadistes africains auraient donc accès à trois façades maritimes du continent et pourraient assurer une jonction entre leurs groupes présents sur les différentes côtes, mais aussi contrôler une grande partie des flux commerciaux, de contrebande et des trafics très juteux à l‘intérieur des terres. S’ils y parviennent, ce sera alors une catastrophe majeure”, prévient l’analyste.
Pour éviter qu’un tel scénario soit un jour une réalité, lui aussi plaide pour un changement de politiques jusqu’ici adoptées contre les groupes jihadistes. “Le dialogue avec les jihadistes ne veut pas dire l’arrêt des actions militaires. Celles-ci restent nécessaires pour mettre affaiblir ces groupes, les mettre sous pression et les contraindre à la discussion. Il s’agit de créer des conditions où ces groupes doivent se sentir dans un rapport de force où ils n’ont plus d’autres choix que de venir dialoguer”, soutient-il. “L’approche a marché ailleurs il n’y pas de raisons qu’elle ne marche pas en Afrique”, acquiesce d’ailleurs son collègue Ibrahim Yaya.
La clôture du forum est prévue demain mardi 19 novembre
LoS/Dng/APA