Le 12 décembre, l’Algérie va voter, ou pas, pour élire le successeur de Abdelaziz Bouteflika, 20 ans au pouvoir, poussé à la démission par d’impressionnantes manifestations pacifiques et la reprise en main sur le pays du général Ahmed Gaïd Salah, tout puissant chef d’Etat-major. Une chronique exclusive pour APA du célèbre journaliste-écrivain et chroniqueur algérien, Chawki Amari.
« Un taux acceptable ». C’est le chargé de la communication à l’ANIE, Autorité nationale indépendante des élections, Ali Drâa, dont le nom signifie « de force » en Algérien, qui donne cette estimation de la participation au vote de la communauté algérienne à l’étranger, qui a déjà commencé.
Devant le refus d’une majorité de la population qui conteste ce scrutin dans ces conditions, la participation est l’enjeu. Mais qu’est ce qui est acceptable et ne l’est pas ? Pour la majorité des Algérien(ne)s, c’est la reconduction du système contre lequel ils se sont soulevés qui est insupportable, « du Bouteflika sans Bouteflika, autant récupérer l’ancien et le laisser continuer rouler sur sa chaise jusqu’à ce qu’il tombe sur un mur », ironise un médecin algérois.
C’est justement cette impasse d’une élection sans électeurs qui se dessine, et devant ce dilemme, on craint des affrontements, à Alger, dans les grandes villes et en Kabylie, les forces de sécurité ayant été largement déployées en prévision du « DouzDouz », terme employé comme fin du monde (ou début) pour le jour du vote, 12 décembre. Qui sera suivi d’une nouvelle grande marche prévue. Pour le vendredi 13.
Doctrine « Zéro morts»
C’est la promesse du chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah, celui qui a décidé du DouzDouz pour en finir après deux scrutins présidentiels annulés sous la pression des manifestants, en avril et en juillet. Depuis le Hirak, mouvement de contestation du 22 février né contre l’intention de Bouteflika de briguer un cinquième mandat, il n’y a pas eu un seul mort directement lié à la répression.
Sauf qu’il n’y a pas que la mort dans la vie et il y a quelques jours, la ligue des droits de l’Homme n’a pas fait dans l’estimation en donnant des chiffres inquiétants : 1000 interpellations et 200 mandats de dépôt prononcés contre des manifestants et militants depuis 10 mois. 200 emprisonnements, c’est plus que les oligarques et dirigeants arrêtés dans la foulée de l’éviction de Bouteflika, une cinquantaine dont les plus visibles, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, anciens premiers ministres, ou Ali Haddad, hommes d’affaires très proche du clan présidentiel, ont été condamnés à de lourdes peines deux jours avant le vote du 12 décembre pour donner de la crédibilité à la justice, et par ricochet, rassurer sur l’honnêteté du scrutin. C’est le point capital, lié à cette même participation ; habituée à la fraude, la population est convaincue que le régime va d’abord gonfler le taux de participation pour ensuite faire passer son candidat, Azzedine Mihoubi, ex-ministre de la Culture et Secrétaire général du RND, l’autre parti au pouvoir, clone du FLN et repaire d’affairistes opportunistes. D’autant que l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) est dirigée par un ancien ministre de la Justice de Bouteflika.
« On veut faire passer à une élection censée être contre Bouteflika un ancien ministre de Bouteflika par un ministre de l’intérieur de Bouteflika, le tout contrôlé par un ancien ministre de Bouteflika », résume une jeune manifestante bien décidée à poursuivre le mouvement.
Les cinq doigts de la main invisible du marché
C’est pourtant une première, les rares votants ont peur, pas du régime pour une fois, mais de la population qui considère les votants comme des traitres, alors que c’est l’élection la plus ouverte depuis l’indépendance, même si le profil des candidats a de quoi décourager.
Parmi les 5 prétendants, 2 sont des anciens chefs du gouvernement ou Premier ministre de Bouteflika, 4 ont été ministres sous Bouteflika toujours et les 5 ont grandi à l’intérieur du sérail, 5 doigts de la même main de l’ancien Président Bouteflika, dont l’ombre plane encore sur le pays.
« C’est de notre faute, on ne s’est pas entendus sur un candidat du hirak, du coup, on n’a que des candidats du régime », explique, déçu, un militant du RCD, parti d’opposition.
Jeudi 12 décembre, c’est le DouzDouz, jour de vote, et il y aura vote, même avec une faible participation. Comme lors du dernier scrutin, les résultats seront annoncés le soir même, les décideurs étant très prompts à compter, mais très lents à changer, deuxième tour probable prévu quelques jours après entre Mihoubi et Benflis, avec évidemment Benflis en candidat le moins pire, c’est-à-dire le plus éloigné de l’ancien régime.
Pour « le day after », quel que soit le Président, il sera mal élu, avec un taux de participation entre 10 et 20%, si le manomètre n’est pas utilisé pour le gonflage. Mais le thermomètre ne baissera pas pour autant, le Hirak va continuer chaque vendredi.
Si c’est Azzedine Mihoubi, le candidat du régime, il va user de la manière forte sur les conseils du Général pour tenter d’en finir avec ces manifestations qui durent depuis 10 mois. Si c’est Ali Benflis, avocat, ancien militant des droits de l’Homme et opposant depuis 15 ans, il va laisser faire en attendant de convaincre qu’il est pro-Hirak. Ou du moins un pro tout court, ce qui manque cruellement à l’Algérie.
CA/te/APA