Il y’a vingt ans, passagers clandestins d’un vol de l’ex compagnie belge Sabena en provenance de Conakry (Guinée), deux adolescents guinéens sont retrouvés morts de froid en 1999 dans le train d’atterrissage de l’appareil à l’aéroport international de Bruxelles. Reportage.
« Yaguine et Fodé » ou « Fodé et Yaguine », deux noms, deux adolescents, inséparables et inoubliables dans les mémoires à Conakry. Le 2 août 1999, le monde est secoué par l’aventure tragique, jusqu’à alors inimaginable, des deux jeunes guinéens. Les corps de Yaguine Koïta et Fodé Tounkara (14 et 15 ans) sont découverts dans le « train d’atterrissage » d’un avion de l’ancienne compagnie belge Sabena, à Bruxelles. Vingt ans après, leurs parents se posent toujours la question sur les « vraies circonstances » de la mort de leurs enfants.
Minus d’une lettre dans laquelle, ils attiraient l’attention des dirigeants occidentaux sur la pauvreté et le sous-développement en général dans le continent africain, Fodé et Yaguine, voulaient à tout prix rejoindre l’Europe.
Leur tragique odyssée commence le 29 juillet 1999 sur le tarmac de l’aéroport de Conakry, capitale de la Guinée. Les deux adolescents parviennent à s’embarquer clandestinement dans l’arrière-train d’un avion de la Sabena. Un acte inédit dans les annales du voyage, de l’aviation et des migrations.
Au quartier Yimbaya pharmacie situé en haute banlieue de Conakry, dans la commune de Matoto, on retrouve Liman Koïta, assis avec des amis, dans un bar café auprès de l’autoroute Fidel Castro. Le père de Yaguine Koïta, aborde stupéfait l’actualité concernant l’adolescent ivoirien retrouvé mort dans un avion d’Air France il y a quelques jours. « C’est triste, ça m’a fait très mal au cœur parce que perdre un enfant comme ça, c’est très difficile », murmure Liman Koïta.
Vingt ans et quelques mois après ce drame, le père de Yaguine se souvient de ce fameux jour du 2 août 1999. Avec un visage crispé, il accepte de parler de ce drame juste « par simple contribution contre l’immigration, sinon c’est toujours remuer le couteau dans la plaie, ça me fait très mal de penser à ça », confie-t-il, dans un entretien exclusif à APA.
Son enfant sur qui il avait beaucoup d’espoir, malgré son jeune âge, est parti pour ne plus revenir. « C’était un petit apprécié par ses amis et par nous-mêmes. Parce que depuis que j’ai eu Yaguine jusqu’à son départ, je n’ai jamais eu une plainte de ce garçon. D’abord lui-même ne se plaint pas. Et il était sérieux à l’école, sérieux dans la famille. C’était un garçon irréprochable », témoigne difficilement le père éploré.
« Mes derniers moments avec mon fils, c’était un mercredi. Il m’a demandé la permission pour aller rendre visite à sa grand-mère maternelle, je l’ai laissé partir, parce que je ne soupçonnais rien. Depuis, je ne l’ai plus revu. Une semaine après, j’ai appris son décès dans un avion de la Sabena », raconte Liman qui n’oublie pas comment lui est parvenue la nouvelle.
« Sa maman s’était remariée à un monsieur qui vit en France. C’est ce monsieur qui m’a appelé, le mardi une semaine après le départ de Yaguine, il m’a demandé « et vos enfants », je lui ai dit tout le monde va bien, mais Yaguine je l’ai perdu, depuis une semaine il n’est pas là. Il m’a dit « on a retrouvé le corps de Yaguine à bord d’un avion de la Sabena », raconte Liman, les yeux fermés.
Par la suite, les familles de Yaguine et Fodé, essayeront pendant des mois pour des poursuites en justice contre les responsables présumés de la mort tragique de leurs enfants. En vain. « La police judiciaire à l’époque, avait ouvert une enquête, mais qui n’a jamais été finalisée jusqu’aujourd’hui. Donc, on n’a jamais exactement su qu’est ce qui s’est passé, comment les enfants ont accédé à l’avion?», explique-t-il, tout en réfutant l’information selon laquelle les corps des deux adolescents ont été retrouvés sur le train d’atterrissage.
« Je n’ai jamais accepté le fait de dire que Yaguine et Fodé étaient dans un train d’atterrissage, c’est faux. Ils étaient dans la soute à bagages. C’est là qu’ils ont été embarqués, il y a eu des preuves ici. Ceux qui ont mené les enquêtes sont aujourd’hui morts que Dieu aie pitié de leur âme. Ils nous ont menti pour avoir ce qu’ils voulaient et l’enquête n’a pas continué. On ne peut pas être dans un train d’atterrissage alors que l’avion vole pendant des jours sans que les corps ne se perdent. L’Avion a quitté Conakry et Yaguine et Fodé étaient déjà morts avant qu’il n’arrive à Bruxelles. Deux ou trois jours après, on a retrouvé leur corps. Si c’était dans le train d’atterrissage, ils seraient tombés. Parce que dès que le train s’ouvre le corps inerte qui est là tombe. Ça c’est une évidence. On nous a jamais dit la vérité », clame Liman, déplorant le mutisme des autorités guinéennes et internationales.
« La justice guinéenne ou même internationale pouvait faire quelque chose. Nous, nous pouvons rien. Pendant 3 mois d’enquête, moi j’étais là tous les jours ouvrables à la police judiciaire. On a demandé une enquête rogatoire internationale qui a été constituée ici en comité de policiers et de juges qui se sont rendus chez Sabena à Bruxelles. Ils sont revenus deux semaines après. On n’a plus eu de nouvelles. Qu’est ce qui s’est passé? On ne le sait pas. Et depuis on a aucune vérité, tout ce qu’on nous dit, c’est de la merde je m’excuse du terme », fulmine le père de Yaguine.
Aujourd’hui, la cinquantaine révolue, Liman a perdu tout espoir dans ce dossier. «Il n’y a eu aucune assistance. On s’est battu. On a créé la Fondation Yaguine et Fodé. Par manque d’assistance financière, technique et même humaine, la fondation est en hibernation », confie-t-il.
Mais le père de Yaguine a un message aux jeunes africains : « Ils doivent avoir le courage de travailler chez nous. C’est possible de réussir ici, s’ils acceptent de se battre, s’ils sont sérieux à l’école ».
SD/te/APA