La récente tournée en Afrique du Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo procède, en apparence, de la volonté de Washington de rebattre les cartes dans un continent où s’est déjà déployée avec tact la Chine.
Au moment où la Chine se bat de toutes ses forces contre l’épidémie du covid-19 (nouvelle appellation du coronavirus) qui a déjà causé plus de 2000 morts, les Etats-Unis passent à l’offensive en Afrique. Opportunisme ou coïncidence ?
Du 15 au 19 février dernier, Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat américain s’est rendu tour à tour au Sénégal, en Angola et en Éthiopie. Son objectif : redonner une place de choix au pays de l’oncle Sam en Afrique.
« Les Etats-Unis sont en permanence en Afrique depuis des décennies. Mais il y a longtemps qu’il n’y a pas eu de visite importante (19 mois exactement). Il est donc assez normal qu’une personnalité de premier rang vienne sur ce continent pour marquer le territoire », analyse Jean-Joseph Boillot, agrégé de Sciences économiques et sociales.
Selon les données du Fonds Monétaire International (FMI), la Chine est en tête du peloton des partenaires commerciaux de l’Afrique. En 2018, la valeur des échanges sino-africains était de 200 milliards de dollars là où le commerce américano-africain dépassait à peine les 40 milliards de dollars.
« Les indicateurs économiques reflètent parfois des aléas ou des évènements conjoncturels », tempère El Hadj Alioune Diouf, professeur en Economie internationale. Son homologue français, Boillot fait remarquer que « l’Amérique agit essentiellement par ses grandes multinationales. Et si l’on prend en compte leur présence en Afrique, il n’y a pas de quoi rougir ».
Lentement mais sûrement, l’empire du Milieu a su tisser sa toile en Afrique, damant le pion aux anciennes puissances coloniales comme la France ou encore le Royaume-Uni. Une étude du cabinet McKinsey Africa, publiée en 2017, indique qu’il y aurait plus de 10.000 entreprises chinoises opérant en Afrique.
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« Les deux superpuissances (USA et Chine) s’intéressent de très près à l’Afrique. Elles sont à la fois concurrentes et complémentaires. C’est à l’Afrique de savoir travailler au mieux avec l’une et l’autre. Le Kenya par exemple entretient d’excellentes relations avec les Etats-Unis et la Chine », note M. Boillot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
De l’avis de M. Diouf, ancien directeur du Commerce intérieur du Sénégal, « la présence chinoise en Afrique est très importante et bouscule tout. Cette situation permet aux Africains d’avoir une diversité de partenaires (et ils peuvent) jouer sur cette bienveillante rivalité pour avoir des conditionnalités plus intéressantes ».
Que ce soit dans les secteurs du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP), de l’exploitation des ressources naturelles, du commerce etc. la soif de conquête de la Chine semble inextinguible.
Dans le juteux commerce de la téléphonie mobile, Tecno et surtout Huawei disputent des parts de marché au géant américain Apple. Leur mode opératoire : vendre des smartphones à des prix accessibles. Une stratégie visiblement payante.
En Afrique, selon certaines analyses, la Chine court-circuiterait les institutions de financement comme la Banque Mondiale (BM) ou le Fonds Monétaire International (FMI). Cette diplomatie de la dette de Pékin agace énormément l’Occident.
« L’Amérique a pratiqué la diplomatie de la dette pendant des années. C’est une politique étasunienne très connue. En réalité, elle remonte au Plan Marshall (pour la reconstruction de l’Europe dévastée par la seconde guerre mondiale). Dans la crise de la dette des années 90 en Afrique, la Banque Mondiale était le pilote de ce surendettement », rembobine Jean-Joseph Boillot, par ailleurs auteur du livre Chindiafrique : la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain.
El Hadj Alioune Diouf soutient que la dette africaine envers la Chine « n’est pas un problème. Elle est tout à fait soutenable. Les Africains savent parfaitement ce qu’ils font ». Poursuivant, il estime que ce débat est posé parce que « l’Amérique a un adversaire qui lui donne des coups de poing » mais « les Africains doivent rester fidèles à leur tradition de continent non-aligné et coopérer avec l’Europe, l’Amérique, la Chine… ».
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Pour sa part, M. Boillot a une toute autre lecture des prêts accordés aux pays africains : « La Chine reproduit à peu près le même mécanisme. Il est tout à fait exact de penser que la façon dont elle a conçu son déploiement en Afrique conduit à un surendettement avec des projets pas toujours rentables ».
A travers l’African growth and opportunity act (Agoa), les Etats-Unis donnent la possibilité à l’Afrique « d’exporter un certain nombre de produits sans payer des droits de douanes et sans faire l’objet de quotas », informe M. Diouf.
A présent, ajoute-t-il, « ce serait bien que l’Amérique investisse davantage en Afrique si elle sent que la Chine occupe le terrain. Pour l’Afrique, l’investissement doit être stratégique et non le commerce. C’est avec l’investissent qu’on transformera le potentiel de ce continent avec la création d’usines. C’est aussi ce qu’on attend des Chinois».
Après avoir constaté que « l’Afrique a joué la Chine contre les Etats-Unis », Jean-Joseph Boillot souhaite qu’elle ne fasse pas maintenant l’inverse. Pour ce spécialiste des Sciences économiques et sociales, elle doit plutôt dire aux Américains, aux Chinois et même aux Européens « de présenter, dans la transparence, leurs projets, leurs rentabilités et les moyens de paiement » pour choisir « les meilleures offres ».
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