Alors que les chocs endogènes ont éprouvé la croissance économique l’année dernière, les nouveaux dirigeants sénégalais s’engagent à mettre en œuvre une « discipline budgétaire » et une « responsabilité fiscale ».
Au Sénégal, l’année 2023 n’est pas que synonyme de violences politiques. La croissance économique s’est montrée au cours de cette période « résiliente » dans un contexte de tensions conjuguées à une inflation persistante quoiqu’en baisse, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale sur la situation économique de ce pays ouest-africain qui a placé à sa tête, depuis près de trois mois, des dirigeants « souverainistes » et « panafricanistes ».
L’année dernière, le dynamisme des secteurs primaire et secondaire a soutenu l’activité économique malgré des « perturbations » dans le secteur des services et une « décélération de la croissance des exportations », a expliqué Wilfried Kouame, économiste principal à l’institution financière internationale et un des auteurs du rapport présenté mercredi 12 juin à Dakar à la presse.
Il a précisé que le produit intérieur brut (PIB) s’est établi à 4,3%, une hausse en comparaison aux 3,8% enregistrés en 2022. Au même moment, l’ambition de réduction du déficit fiscal prévue s’est concrétisée, entraînant un déficit de 5.1% du PIB, légèrement supérieur à l’objectif de 4,9 %. La hausse des recettes fiscales a entre autres contribué à ce déficit.
Dans ce document de 68 pages, les enquêteurs de la Banque mondiale ont concentré leurs efforts sur deux aspects : la pauvreté et l’équité dans un contexte de crises multiples et les stratégies permettant d’augmenter la collecte des recettes fiscales via l’impôt sur le revenu des personnes physiques. « Les réformes fiscales et l’amélioration de l’impôt sur le revenu des personnes physiques peuvent accroître les recettes internes à travers un élargissement de la base fiscale et un renforcement de l’application du cadre légal, ce sans augmenter la pauvreté ou les inégalités », a recommandé M. Kouamé.
Étroitesse de l’assiette fiscale
Avec ses collègues, il a noté que les incertitudes internationales et régionales croissantes nécessitaient des « actions proactives » pour préserver les progrès socioéconomiques réalisés au Sénégal au cours de la dernière décennie. Au cours du second semestre de 2023, l’instabilité politique, avec les manifestations violentes en lien avec les dossiers judiciaires de l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko, qui était alors le chef de l’opposition, a « considérablement ralenti la croissance ».
L’autre facteur est le resserrement des marchés financiers internationaux et régionaux, causé en partie par l’embargo imposé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Mali en réaction au coup d’Etat du 20 août suivi de la «rectification» de la transition huit mois plus tard, un des premiers partenaires économiques du Sénégal. Cette situation « a aggravé les déséquilibres budgétaires et extérieurs » de la deuxième économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), ont constaté Wilfried Kouame et son équipe.
Le rapport montre également que l’informalité, l’étroitesse de l’assiette fiscale et l’application limitée de la législation entravent la capacité des impôts directs à augmenter les recettes et corriger les inégalités avant l’imposition. Pourtant l’accélération des réformes de l’administration fiscale et des politiques visant l’impôt sur le revenu des personnes physiques « peut contribuer à stimuler les efforts de mobilisation des recettes intérieures » dans un pays où l’économie est plus marquée dans le secteur informel, selon les experts de la BM, indiquant que l’incidence de la pauvreté au Sénégal est restée « stable » avec des différences régionales marquées, et une baisse notable dans certaines zones comme la vallée du fleuve Sénégal.
La présentation du rapport s’est faite en présence de plusieurs économistes, des personnalités de la société civile et des dirigeants de l’administration financière publique. Le coordonnateur de la cellule d’étude et de planification du ministère sénégalais des Finances et du Budget, Adama Seck, a indiqué que le rapport mettait en exergue « la nécessité urgente d’accroître » les recettes fiscales afin de renforcer la résilience économique du Sénégal face aux chocs futurs alors que plusieurs pays vivent actuellement les contrecoups de la guerre russo-ukrainienne après une pandémie éprouvante de la Covid-19.
Nouvelles orientations budgétaires
A ce titre, il a rappelé les orientations des nouvelles autorités concernant « la discipline budgétaire et la responsabilité fiscale ». En tant qu’inspecteurs des impôts et domaines, le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko sont conscients que ces deux socles constituent le « fondement indispensable pour garantir la viabilité des finances publiques et de la dette à moyen terme », a indiqué M. Seck.
A ce titre, la directrice des opérations de la Banque mondiale pour le Cabo Verde, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et le Sénégal, Keiko Miwa, a salué la volonté des nouvelles autorités sénégalaises à renforcer la transparence et la gestion des finances publiques. Cette voie « est une opportunité qui conforte les perspectives économiques positives du Sénégal à moyen terme. Ces perspectives demeurent néanmoins conditionnées sur le court terme par un engagement envers la consolidation budgétaire et le mise en œuvre de réformes transformatrices, piliers de la stabilité macroéconomique » a-t-elle déclaré.
Au cours des débats, un consultant international a rappelé l’obligation pour l’Etat de créer les conditions pour l’éclosion de champions nationaux forts dans plusieurs secteurs, surtout à l’ère de la production des hydrocarbures dans laquelle le Sénégal est entré depuis le 11 juin 2024, en vue de « recouvrer de nouvelles ressources » fiscales.
A cette remarque, le président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES), l’un des patronats du pays, a pris la défense du secteur privé formel, indiquant qu’il payait « trop d’impôt ». Ainsi Adama Lam invite-t-il l’Etat à revoir « toute cette panoplie d’impôts » placée sur leur dos et à les intégrer dans le marché des ressources, telles que le pétrole et le gaz, qui peuvent « générer un capital fixe » au profit de l’économie sénégalaise.
ODL/ac/APA