Au Sénégal, le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, se prépare à prendre ses fonctions le 2 avril prochain, en remplacement de Macky Sall. Dans une interview accordée à APA, le chercheur sénégalais Ibrahima Kane, spécialiste des questions régionales en Afrique, analyse les enjeux de cette victoire et les défis qui attendent le cinquième président sénégalais du Sénégal.
Les résultats de l’élection présidentielle au Sénégal, tenue dimanche 24 mars, confirment la victoire de Bassirou Diomaye Faye au premier tour, avec 54,28% des voix. Quels sont les facteurs de ce succès ?
Cette élection ressemblait davantage à un référendum qu’à une élection présidentielle, étant donné les événements survenus depuis 2021 entre le pouvoir et l’opposition. La crise économique et sécuritaire, les arrestations, la dissolution de l’ex Pastef ont exacerbé les tensions entre l’opposition, menée par Ousmane Sonko et le pouvoir.
Cette élection était un moyen de trancher entre les deux camps et de mettre fin à ce régime aux yeux d’une partie de l’opinion nationale.
On peut faire le parallèle avec la dernière présidentielle au Liberia, où les deux premiers candidats ont recueilli 95% des voix. Au Sénégal, les deux principaux candidats ont totalisé 90% des suffrages. Cela montre que la population voulait se débarrasser du régime de Macky Sall et confier le pouvoir à cette nouvelle équipe pour changer la direction du pays.
Bien que Bassirou Diomaye Faye soit relativement inconnu, les Sénégalais l’ont plébiscité dès le premier tour.
Quel a été le facteur déterminant qui a fait pencher la balance en sa faveur au détriment des autres figures de l’opposition plus connues ?
La perception générale était que l’ex Pastef, la formation de Diomaye Faye et son mentor Ousmane Sonko, était le parti le mieux placé et le plus populaire, incarnant le renouveau politique tant attendu. Les Sénégalais aspiraient à quelque chose de radicalement différent de l’ancienne classe politique, perçue comme déconnectée de la réalité nationale. L’ex Pastef représentait cette nouveauté à travers sa jeunesse et son discours panafricaniste et progressiste, contrairement aux politiciens traditionnels centrés sur eux-mêmes.
Le nouveau président élu est décrit comme un homme d’État inexpérimenté. Est-ce un handicap ?
Un bon dirigeant est celui qui sait coordonner les acteurs et faire fonctionner efficacement l’appareil d’État. Bien que Bassirou Diomaye Faye soit relativement nouveau en politique, son entourage compte des personnes expérimentées, telles que son directeur de campagne, Moustapha Guirassy, et l’ancienne Premier ministre Aminata Touré. Son inexpérience peut même être un atout, apportant une énergie et des idées nouvelles pour réorienter la politique nationale. De plus, Faye, en tant qu’énarque de formation, connaît bien l’administration. L’important est de mettre en œuvre l’agenda proposé aux Sénégalais.
L’élection de Faye survient après une longue crise politique au Sénégal. Quelles devraient être ses priorités une fois au pouvoir ?
Il y a de nombreux défis à relever, notamment sur le plan économique, éducatif, sanitaire, et de gouvernance. Il est crucial de dépolitiser l’administration et de restaurer la confiance des citoyens envers l’État. Il faut également réformer les services de sécurité et la justice, et réorienter les investissements pour répondre aux besoins urgents de la population. La gestion de la dette et la transition vers une économie plus solide seront également des priorités.
Le président Diomaye Faye a promis de mettre en œuvre un programme souverainiste et panafricain, mais cela suscite des interrogations sur les relations avec les partenaires étrangers. Comment pourrait-il opérer cette « rupture » ?
La rupture pourrait intervenir lorsque les ressources naturelles, comme le gaz et le pétrole, auront un impact sur l’économie. Faye souhaite renforcer le panafricanisme et promouvoir l’intégration régionale, ce qui pourrait conduire à des réformes dans les relations avec les partenaires étrangers. La sortie du franc CFA est également envisagée, mais cela prendra du temps.
Quel impact cette alternance pacifique pourrait-elle avoir en Afrique ?
L’élection d’un jeune président offre un espoir de renouveau politique et de réforme en Afrique. Elle pourrait stimuler le changement de leadership et de gouvernance dans la région, tout en renforçant l’image du Sénégal en tant que modèle démocratique. La démocratie participative, prônée par Faye, pourrait inspirer d’autres pays africains à adopter des pratiques similaires.
Le président élu sénégalais pourrait-il faciliter le retour éventuel de certains pays dans la Cédéao, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui se sont retirés récemment de l’organisation régionale ?
Il pourrait jouer un rôle dans le rapprochement avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger, en soutenant des initiatives de réforme au sein de la Cédéao. Son mentor, Ousmane Sonko, entretient des relations avec les dirigeants de ces pays, ce qui pourrait faciliter le dialogue et la réintégration.
Quel pourrait être le rôle Ousmane Sonko auprès de Bassirou D. Faye ?
Sonko doit soutenir le président Faye sans entraver son leadership. Il pourrait jouer un rôle à l’Assemblée nationale pour faire avancer les politiques publiques. Mais il ne devrait pas intégrer l’exécutif pour éviter les conflits de pouvoir et préserver la stabilité politique.
ODL/ac/APA