Les dissensions qui secouent l’ancien parti présidentiel, le PNDS Tarrayya des anciens chefs d’Etat Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum, depuis le coup d’état du 26 juillet 2023, ont fini par apparaitre au grand jour ce weekend avec les divergences entre deux ailes qui s’opposent sur l’intervention militaire envisagée par la Cédéao mais aussi la position à tenir sur la transition.
Jusque-là, c’étaient des bruits de couloirs et guerre larvée sur les réseaux sociaux entre « pro-Bazoum » et « pro-Issoufou », sur les responsables et surtout la posture à adopter suite au coup d’état du général Abdourahamane Tiani qui est venu mettre fin au régime que le parti détenait depuis avril 2011.
Le Parti nigérien pour la démocratie et le socialiste (PNDS Tarrayya), qui a été la principale victime de la nouvelle irruption des militaires sur la scène politique, s’est montré soudé derrière son président « le camarade Bazoum Mohamed », le président évincé du pouvoir et toujours aux mains de la junte qui a pris le pouvoir, fin juillet et après juste deux ans de règne du successeur de l’autre ancien président du parti et ex-chef de l’Etat Mahamadou Issoufou, sous prétexte de « mauvaise gouvernance sécuritaire et économique ». Une unité qui s’est finalement avérée de façade comme en témoignent les événements qui secouent actuellement le parti, moins de deux mois après avoir perdu le pouvoir qu’il a assumé pendant près de treize ans.
Ce weekend, ces dissensions sont apparues au grand jour avec deux déclarations successives et contradictoires, rendues publiques respectivement par le Secrétaire général du parti, Kalla Ankourao, et par la suite le vice-président Hassoumi Massaoudou.
Dans une correspondance adressée, vendredi 15 septembre aux différents responsables des différentes structures du parti et au nom du Comité exécutif national du PNDS Tarrayya, l’ancien ministre et Secrétaire général Kalla Ankouraou, a fait part de la décision du parti, suite à plusieurs réunions du présidium, d’annoncer son opposition à une intervention militaire au Niger et d’exhorter ses militants à rester unis pour une sortie de crise. « Depuis le 26 juillet 2023, notre pays, le Niger, vit une situation extrêmement difficile et complexe. Pour y faire face, notre Parti, le PNDS-Tarayya, a organisé toute une série d’actions », est-il écrit, rappelant notamment la déclaration du Parti, endossée par la Majorité présidentielle (MRN), le 26 juillet dans l’après-midi pour dénoncer la prise en otage du Président de la République Mohamed Bazoum et demander sa libération et sa réinstallation dans ses fonctions ainsi qu’ « une manifestation spontanée », dans l’après-midi même du 26, en direction de la Présidence, manifestation au cours de laquelle plusieurs blessés par balle ont été enregistrés.
Dans la correspondance, l’ancien ministre et ex vice-président de l’Assemblée nationale a aussi indiqué que « le Présidium a entrepris des démarches en direction des Partis politiques de la majorité pour une coordination des actions, mais les résultats sont très mitigés avec la suspension des activités des Partis politiques et la répression multiforme qui s’est mise en place ».
Aussi, a ajouté Kalla Ankourao, sur le plan extérieur, « la communauté internationale avec à sa tête la Cédéao et l’Uemoa, a pris des mesures énergiques pour mettre fin à la tentative du coup d’état et ramener le Président Bazoum dans ses fonctions, y compris une menace d’intervention militaire ». Selon le SG de l’ancien parti présidentiel, « cette dernière mesure a servi de prétexte et d’argument pour organiser un vaste mouvement national, notamment à Niamey, mais aussi une grande mobilisation dans les pays de la Cédéao, et plus particulièrement au Nigéria, présenté comme une guerre que le Nigéria va entreprendre contre le Niger ».
« Après plus d’un mois d’attente, à l’intérieur du Parti, des voix s’élèvent aussi pour que le Parti se démarque d’un soutien à une intervention armée, car non seulement le mouvement contre l’intervention armée semble être récupéré par certains partis de l’opposition qui voudraient en découdre définitivement avec notre Parti, mais aussi les conséquences de cette intervention pourraient être incommensurables pour les otages, la population et notre pays et pourraient s’étaler dans le temps », a indiqué le SG Kalla Ankourao pour qui, au vu de cette situation, « il est apparu nécessaire au Présidium d’entreprendre des discussions sur cette question ».
Selon ses explications, après les réunions des 2 et 14 septembre, « une nette majorité s’est exprimée contre une intervention armée », rappelant toutefois le maintien des « objectifs initialement définis », notamment « le renforcement du Parti et sa démarcation de toute intervention militaire dans le cadre de la recherche de solutions de sortie de crise ».
Selon le parti, « la libération du Président Bazoum et de sa famille, séquestrés depuis le 26 juillet, et celles de tous les camarades arrêtés sur l’ensemble du territoire national, dont le Président du Comité Exécutif National, Foumakoye Gado », reste l’une des plus grandes préoccupations du parti. Aussi, le parti a réitéré son exigence du « rétablissement du Président de la République dans ses fonctions et le rétablissement de l’ordre constitutionnel par tous les moyens non militaires ainsi qu’au renforcement de l’unité et de la discipline du Parti ».
Dissensions internes et guerres larvées
Aussitôt après la publication de cette correspondance, un autre communiqué signé cette fois par le vice-président du parti, Hassoumi Massaoudou, a été rendu public pour en « démentir », les conclusions des réunions tenues par la direction de l’ancien présidentiel telles que rapportées par le SG qui pourtant assurait jusque-là, l’intérim du Président en exercice, l’ancien ministre du Pétrole Foumakoye Gado, actuellement détenu par les putschistes au même titre que plusieurs responsables du PNDS Tarrayya.
Dans ce second communiqué, le chef de la diplomatie du président Bazoum Mohamed, actuellement en exil en Europe et qui représente le Niger à la 78e Assemblée générale des Nations Unies, s’est farouchement opposée à la posture prise par certains membres de la direction du parti, parmi lesquels pourtant, des membres fondateurs et anciens ministres sous Issoufou Mahamadou.
Selon le communiqué de « démenti » publiée à cet effet, « la synthèse biaisée » du premier communiqué publié par le SG du parti, « ne reflète nullement la quintessence des réunions » tenus sur le sujet par la direction du parti. Cependant et tout en confirmant la tenue de ces réunions, poursuit le communiqué du vice-président, « il n’a jamais été question de remettre en cause des décisions prises par la Cédéao au cours de des Sommets extraordinaires sur la situation qui prévaut au Niger ». Le document appelle les militants de « rester mobilisés derrière le président Bazoum Mohamed pour faire triompher la légalité républicaine et la démocratie », tout en continuant « d’accompagner la communauté nationale et internationale pour le rétablissement du Président de la République dans ses fonctions ».
Aussi, dans le communiqué qui rend responsables « les preneurs d’otages de la dégradation de la situation du parti », l’aile du parti dirigée par Hassoumi Massaoudou et favorable à l’ancien président Bazoum, a demandé à toutes les structures ainsi qu’aux sections de l’intérieur et de l’extérieur, « de mener en des actions multiples et multiformes jusqu’à la libération des otages et le rétablissement du Président Bazoum Mohamed dans ses fonctions constitutionnelles ».
Le PNDS à la croisée des chemins
La guerre est donc déclarée désormais entre les deux camps au sein du parti socialiste. C’est sur les réseaux sociaux que les deux ailes se livrent désormais à des accusations et des révélations qui mettent à mal l’unité du PNDS Tarrayya. D’un côté, les « pro-Bazoum », qui continuent d’espérer un retour au pouvoir du président déchu grâce notamment à une intervention militaire sous l’égide de la Cédéao, qu’ils défendent becs et ongles, et de l’autre côté, les « pro-Issoufou » pour lesquels, le parti doit tirer les conséquences des évènements du 26 juillet et donc faire preuve de plus de réalisme pour envisager l’avenir en tenant compte de la nouvelle situation du pays.
A tort ou à raison, les premiers accusent le camp de l’ancien président Issoufou Mahamadou d’avoir une main dans le coup d’état qui a été mené par son homme de main, le général Tiani, président du CNSP, la junte qui a renversé le régime de Bazoum.
Bien qu’il se soit défendu à travers quelques déclarations laconiques, l’ancien président du Niger et du parti pendant presque trois décennies, n’a pas jusque-là clairement condamné la prise du pouvoir par les militaires.
Le PNDS Tarrayya, créé dans les années 1990 à la faveur de l’avènement du multipartisme instauré au Niger, est arrivé au pouvoir en 2011 avec l’élection à la présidence de la République de Issoufou Mahamadou, et après 20 ans d’opposition. Après deux mandats constitutionnels, Issoufou Mahamadou a passé le relais à Mohamed Bazoum en 2021, permettant au Niger de réaliser sa première « alternance démocratique ».
Depuis, des fissures ont apparus au sein du parti membres de l’Internationale socialiste, entre les partisans des deux fondateurs et figures tutélaires sur la gestion du pouvoir et notamment l’ombre que le premier faisait au second à la tête de l’Etat. Des dissensions internes qui ont fini par éclater au grand jour suite au coup d’Etat du 26 juillet dernier qui a mis fin à presque 13 ans de règne sans partage du parti rose, désormais à la croisée des chemins alors que le pays est en train de vivre les premiers pas d’une transition qui va déboucher sur de nouvelles élections.
AYB/ac/APA