L’Institut d’Etudes et de Sécurité a mené des enquêtes sur le phénomène dans les quatre départements du nord Bénin et a dévoilé les résultats de ses investigations mercredi à Cotonou.
Les groupes jihadistes qui attaquent le nord du Bénin bénéficient de la complicité des réseaux de trafiquants qui opèrent depuis de longues années dans cette partie du pays. C’est un rapport de l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS) qui le révèle.
Selon le rapport, il n’y a pour le moment, aucune évidence prouvant que des béninois participent directement aux attaques terroristes. Le document souligne qu’il y a plutôt des alliances d’intérêt entre les membres des groupes jihadistes et des acteurs locaux qui sont impliqués dans des activités illicites. D’après Jeannine Ella Abatan, chercheuse au bureau Afrique de l’Ouest de l’ISS, l’étude a révélé par exemple, la collaboration entre les groupes extrémistes violents et les trafiquants de carburant dans la zone litigieuse de Kourou-Koalou à la frontière entre le Bénin et le Burkina Faso. « Les groupes offrent aux personnes impliquées dans ce trafic, des garanties de sécurité pour que le trafic puisse continuer. En retour, les trafiquants de carburant payent une contrepartie financière et fournissent aussi aux groupes terroristes, du carburant qui est une ressource stratégique pour leur mobilité », explique Jeannine Ella Abatan.
Le rapport cite aussi comme exemple, les liaisons entre les groupes jihadistes et les chasseurs qui n’ont plus la possibilité de pratiquer leur activité autour des parcs animaliers de la Penjari et du W situés à la frontière avec le Burkina Faso et le Niger. La décision du gouvernement de mieux gérer ces aires protégées n’arrange pas les affaires de ces chasseurs. Dans ses investigations, l’ISS a découvert que les chasseurs coopèrent aussi avec les groupes extrémistes violents. Ils profitent de l’instabilité provoquée par les attaques pour s’adonner à la chasse illicite.
D’après le rapport, l’insécurité dans le nord du Bénin profite également aux trafiquants de chanvre indien dont l’activité illicite est favorisée et garantie par les groupes terroristes.
La toute première attaque dans le nord du Bénin s’est produite en mai 2019. A l’époque, des touristes français et leur guide béninois ont été enlevés dans le parc de la Penjari. Toutefois, les enquêtes de l’ISS ont révélé que depuis 2012, il y a eu des liens entre les activités illicites dans le nord du Bénin et l’extrémisme violent qui sévit dans le Sahel.
EIS, ISWAP et GSIM, les principaux groupes qui frappent le nord Bénin
L’étude de l’Institut d’Etudes de Sécurité a aussi dévoilé l’identité des groupes qui mènent la vie dure aux populations dans le nord du Bénin. Il s’agit de l’Etat islamique au Sahel (anciennement EIGS) et du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). L’étude a également relevé que des jihadistes venus du Nigeria seraient présents dans le nord du Bénin. Ils seraient affiliés à l’Etat islamique en Afrique occidentale (Iswap, sigle anglais), constitué des transfuges du groupe nigérian Boko Haram, opérant dans le nord-est et le nord-ouest du Nigéria dont les Etats du Niger et de Kebbi sont frontaliers au Bénin.
Cependant, la chercheuse Jeannine Ella Abatan de l’Iss précise que « la majorité des attaques qui ont touché le nord du Bénin sont attribuées au Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans affilié à Al Qaeda ». Les éléments du GSIM viennent de la région de l’Est au Burkina Faso qui partage une frontière avec le nord Bénin. Le rapport de l’Institut d’Etudes de sécurité a aussi démontré que les modes opératoires des groupes actifs dans le nord Bénin ont beaucoup évolué.
Une inquiétante tendance à attaquer désormais les populations civiles
L’enquête a noté que les groupes extrémistes violents actifs au Bénin visaient dès le départ les forces de défense et de sécurité mais actuellement, ils attaquent les villages. Selon Jeannine Ella Abatan, vers la fin de l’année 2021, ils sont passés à l’usage des engins explosifs improvisés et depuis la fin de l’année 2022, il y a eu des attaques contre les villages, avec des victimes parmi les populations civiles. « Ces attaques créent aussi des déplacements de populations. C’est une tendance inquiétante qu’il faut garder dans les réponses apportées pour s’assurer de la protection des populations et de leurs biens dans ces régions à risque où il y a aussi des réfugiés des pays frontaliers notamment du Burkina Faso », recommandent la chercheuse qui soutient toutefois, que les attaques ont quand-même baisé ces derniers mois.
Pour réaliser l’enquête, l’Institut d’Etudes de Sécurité a mené des entretiens dans les départements de l’Alibori, du Borgou, de l’Atacora et de la Donga, les quatre départements du nord du Bénin. Le rapport précise que des personnes qui ont collaboré avec les groupes jihadistes ont été interrogées. Des personnels des forces de défense et de sécurité ainsi que des acteurs impliqués dans l’élaboration de stratégies de lutte contre le fléau ont aussi répondu aux questions de l’Institut d’Etudes de sécurité.
RK/ac/APA