Les quotidiens sénégalais parvenus lundi à APA titrent principalement sur le bilan de quatre jours de « sanglantes » manifestations dans le pays suite à la condamnation ferme d’Ousmane Sonko, une situation qui continue de paralyser plusieurs secteurs du pays même si des voix s’élèvent pour proposer des solutions pour sortir de cette crise.
Le Soleil revient sur « l’étendue du mal fait » durant les violentes manifestations qui ont débuté jeudi1er juin après la sentence prononcée contre le maire de Ziguinchor (sud), Ousmane Sonko. L’opposant arrivé troisième à la dernière présidentielle avec plus de 15% des suffrages et considéré comme une sérieuse menace au régime en place à neuf mois du prochain scrutin présidentiel, était poursuivi depuis début 2021 par la jeune masseuse Adji Sarr pour viols et menaces de mort. Mais le leader du parti Pastef a été condamné finalement à deux ans ferme pour « corruption de la jeunesse » après requalification des faits par le juge de la chambre criminelle, un verdict qui prive Ousmane Sonko de sa candidature en 2024 et qui a poussé ses partisans dans la rue, plongeant le pays dans une violence sans commune mesure depuis jeudi dernier.
Faisant « le point » dans la soirée du dimanche 4 juin, la police nationale indique que « 16 morts » et « 500 arrestations dont des mineurs et des étrangers » ont été enregistrés. L’institution note que « des manifestants détenant des armes de guerre » ont été « identifiés ». « Des armes blanches » ont été également « saisies » dans un contexte de « saccages et pillages de magasins » par « des bandits de grand chemin » qui « s’invitent dans les manifestations » de l’opposition, poursuit le quotidien national.
L’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, qui a fait l’objet de plusieurs pillages et incendies, avec la casse symbolique de la Faculté de droit et du centre de formation des journalistes (Cesti), se retrouve avec « des plaies encore béantes », constate le journal, notant que le secteur du transport est endommagé par les manifestations avec notamment la suspension du « trafic » du Train express régional (Ter) et les « pertes » subies par la société de transport publique Dakar Dem Dikk chiffrées à un plus de 1,5 milliard « depuis mars 2021 », lors de la garde à vue de quelques jours d’Ousmane Sonko à la section de recherches de la gendarmerie de Colobane, à Dakar.
L’Observateur note que les « révélations » de la police nationale sur les protestations sont « terrifiantes » en soutenant que des manifestants détenaient « des armes de guerre ». Elle souligne que quatre morts ont été enregistrés « en 24 heures en banlieue » dakaroise.
Dans le quotidien EnQuête, le commissaire Ibrahima Diop, directeur de la Sécurité publique, qualifie ces « manifestants » armés de « forces occultes », un terme qu’avait utilisé le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, en mars 2021 pour expliquer la violence des manifestations de l’époque. Ces derniers jours, « la plupart des gens arrêtés avaient par devers eux des armes blanches, armes de guerre », a expliqué pour sa part le commissaire Diop.
Le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, indique dans Sud Quotidien « qu’on va ouvrir une information judiciaire contre X ». « L’Etat fait face et aujourd’hui la situation est sous contrôle », a souligné le garde des Sceaux même si l’opposition et la société civile appellent à de nouvelles manifestations à partir de ce lundi. Le parti Pastef « appelle le peuple sénégalais à accentuer et fortifier la résistance jusqu’à la démission de Macky Sall », rapporte Libération alors que le ministre de l’Intérieur assure que « tout ce que l’Etat doit faire pour défendre la République, on le fera »
Parmi les « morts enregistrés lors des manifestations sanglantes », ce quotidien note que la banlieue Dakar, qui « pleure ses fils », a payé le plus lourd tribut. Parents et proches témoignent notamment sur « un bilan officiel global de 16 morts après un nouveau décès ». A Dakar et Ziguinchor, la Croix Rouge affirme avoir « assisté 357 manifestants blessés, dont une femme enceinte et 36 éléments des forces de défense et de sécurité » alors que 78 parmi ces blessés sont « dans un état jugé grave ».
Face à cette situation alarmante, Me Ciré Clédor Ly, avocat d’Ousmane Sonko, déplore dans le journal le fait que son client soit « séquestré par plus de 500 policiers armés et équipés de véhicules de combat ». Malgré sa condamnation à une peine ferme, le leader de Pastef n’est toujours pas amené en prison même si le gouvernement admet qu’il peut être arrêté à tout moment.
Bés Bi estime que les manifestations contre la condamnation d’Ousmane Sonko ont conduit le Sénégal dans la situation d’« un pays coupé » à travers le « blocage de l’internet mobile » par le gouvernement pour faire face à la propagation de discours haineux et violents. « Après les restrictions sur les réseaux sociaux, l’internet mobile est suspendu », indique Libération. Pour L’Observateur, les restrictions sur le Net génèrent « un manque à gagner estimé à cinq milliards de frabcs CFA la journée ».
Dans cette liste de dégâts des manifestants, le ministre de l’Intérieur révèle dans Les Echos que « l’usine de production d’eau de Thieudème a été touchée et empêche aujourd’hui une production journalière de 12.000 mètres cubes ».
Face à cette « déferlante de violence » au Sénégal, l’historienne Penda Mbow, enseignante à l’Ucad, « assène ses vérités » dans L’Info et propose en même temps des solutions pour sortir de la crise. « Ce qui se passe actuellement au Sénégal, si je n’exagère pas, je peux dire que c’est une révolution, parce que tout s’est passé tellement vite… C’est le +Barça ou Barsak+ (expression désignant au Sénégal la recherche de l’eldorado en Europe par des voies clandestines) que nous vivons aujourd’hui », a expliqué Mme Mbow. « Tout le monde savait que tôt ou tard il y aurait embrasement, il y aurait problème. Le dépassement lié à l’affaire Sonko est ce que nous historiens appelons +cause immédiate+ », a-t-elle souligné.
Dès lors, elle « exhorte le président Macky Sall à faire preuve de tolérance » parce que « l’enjeu actuel est de ramener les jeunes dans la maison. Et il faut faire vite ». « Il n’y a pas plus douloureux que l’attentat contre Me Babacar Sèye (un des membres du Conseil constitutionnel) en 1993. Quand on arrive à, mettre sous le coude une affaire aussi grave qu’un meurtre, on doit pouvoir en faire de même pour une autre affaire », a déclaré Penda Mbow.
ODL/ac/APA