La réaction de Bamako est très attendue après la publication du rapport des Nations unies sur les évènements de mars 2022, à Moura, dans le centre du Mali.
La Division des droits de l’homme de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a rendu public son rapport sur les opérations de l’armée malienne à Moura, en mars 2022.
Publié en vertu du mandat de promotion et de protection des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ce rapport se penche sur les évènements survenus dans le village de Moura (commune de Tougé-Mourari, cercle de Djenné, région de Mopti) au centre du Mali, du 27 au 31 mars 2022.
Composée de 12 chargés des droits de l’homme et de quatre (4) experts de la police des Nations Unies (UNPOL), la mission spéciale d’établissement des faits a conduit ses travaux, conformément à la méthodologie du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, sur une période de sept mois, soit du 1er avril au 30 octobre 2022 à Bamako, Douentza, Mopti, Ségou et Sikasso.
En tout, ce sont 157 entretiens individuels avec une variété de sources, y compris des victimes de viol et autres formes de violences sexuelles, des membres des communautés peule, rimaibè et bozo venant de 18 localités, qui ont été menés par la mission d’établissement des faits. En outre, celle-ci a conduit 11 entretiens de groupes, notamment avec des personnes ayant une connaissance directe de l’incident. La mission s’est également entretenue avec des personnes déplacées internes qui ont quitté Moura à la suite de l’opération militaire pour trouver refuge ailleurs ainsi que des personnes arrêtées au cours de l’opération qui ont été libérées par la suite. De plus, des séances de travail ont eu lieu avec des acteurs humanitaires, les agences des Nations Unies, les leaders politiques, les institutions étatiques des droits de l’homme, les associations et organisations faitières ainsi que les leaders religieux et traditionnels. Enfin, des rencontres ont également eu lieu avec les autorités maliennes civiles et militaires tant au niveau national qu’au niveau régional pour recueillir leur version des faits et discuter des actions entreprises, y compris l’ouverture des enquêtes internes ou judiciaires.
Ainsi, au terme de son travail, la mission d’établissement des faits a conclu que l’opération militaire aéroportée et terrestre conduite par les Forces Armées Maliennes et les personnels militaires étrangers à Moura, le jour de la foire hebdomadaire, a été menée en violation des règles du droit international humanitaire, notamment celles relatives à la conduite des hostilités et au traitement des personnes capturées et/ou mises hors de combat, ainsi que normes et standards du droit international des droits de l’homme.
Elle a indiqué que plusieurs centaines des personnes auraient été tuées entre le 27 et le 31 mars au cours de l’opération militaire à Moura. Parmi les personnes tuées figurent une trentaine de membres de la Katiba Macina neutralisés au cours de la même opération. Au regard des informations collectées, vérifiées et corroborées par la mission d’établissement des faits, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme a des motifs raisonnables de croire qu’au moins 500 personnes auraient été tués en violation des normes, standards, règles et/ou principes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire entre le 27 et le 31 mars au cours de l’opération militaire à Moura. Il s’agit d’une vingtaine de civils tués le 27 mars par des tirs aériens effectués par les Forces Armées Maliennes et les personnels militaires étrangers pour empêcher la population de s’enfuir et de quitter Moura et d’au moins 500 individus, y compris une vingtaine de femmes et sept enfants, exécutés par les Forces Armées Maliennes et les personnels militaires étrangers entre le 27 et le 31 mars après que la zone a été totalement « maitrisée ».
La mission d’établissement des faits indique disposer des noms d’au moins 238 de ces personnes qui ont été exécutées. Selon plusieurs témoignages concordants, les victimes ont été inhumées dans quatre fosses communes creusées par les villageois, notamment à proximité du cimetière du village, au sud-ouest du village sur la route de Gossiri et au nord-est sur la route de Diabi (localisations fournies en annexe du rapport). Au moins cinquante-huit (58) personnes ont été arrêtées parmi lesquelles certaines ont été victimes de torture et de mauvais traitements.
Par ailleurs, la mission d’établissement des faits a précisé qu’au moins 58 femmes et jeunes filles ont été victimes de viol et autres formes de violences sexuelles perpétrés par des éléments des Forces Armées Maliennes. Pour l’ONU, les événements à Moura entre le 27 et le 31 Mars pourraient constituer des crimes de guerre et si commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile ils pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme recommande aux autorités maliennes de s’assurer que les enquêtes annoncées sur les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme à Moura soient menées de façon indépendante impartiale, efficace, exhaustive et transparente et que les conclusions de ces enquêtes soient rendues publiques. Des recommandations ont également été formulées en vue de lutter contre l’impunité en poursuivant les auteurs de ces crimes.
Dans un communiqué publié à la suite de cette opération, l’armée avait fait état de plus de 200 terroristes tués à Moura. Dans une vidéo de plus de deux minutes diffusée par les canaux de propagande du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans auquel son organisation, la Katiba du Macina appartient, Amadou Kouffa avait pris le contrepied des autorités maliennes. Le chef jihadiste avait soutenu qu’une trentaine d’insurgés étaient présents à Moura lors des opérations de l’armée malienne.
L’enquête menée par l’ONU a duré plus d’un an en raison de certaines restrictions qui lui ont été imposées par les autorités maliennes. Ce rapport intervient quelques jours avant le début des discussions sur le renouvellement du mandat de la MINUSMA censé avoir lieu le 30 juin prochain. Des voix s’élèvent pour demander son retrait du Mali.
MD/ac/APA